• L'expression de l'aspect

    L'aspect

    L'aspect, comme le temps, n'est pas exclusivement exprimé par les désinences verbales : on peut même dire qu'en français, le plus souvent, il est exprimé par d'autres moyens, même si les "temps de la conjugaison" sont aussi chargés d'exprimer l'aspect - ce qui fait que l'on a pu prétendre - abusivement - que le français était une "langue à temps" par opposition à d'autres langues du monde - par exemple certaines langues africaines - qui seraient des "langues à aspect". Lorsque l'on tente de faire cette opposition abusive, c'est parce que l'on ne se fonde que sur la morphologie verbale, en oubliant - ce que nous venons de montrer déjà pour le temps - qu'une langue comme le français, qui a progressivement évacué la morphologie qui était encore le fait du latin, recourt de plus en plus à d'autres moyens (périphrases, adverbes, etc.) pour exprimer temps et aspects. Si l'imparfait par exemple sert souvent, par opposition au passé simple ou au passé composé, à manifester la durée, si le passé composé a souvent, une valeur d'accompli, avant d'être un moyen pour exprimer le passé, etc. beaucoup de périphrases verbales, et beaucoup d'adverbes (compléments de verbe ou compléments de phrase), sont le lieu de manifestation de l'aspect.

    Notons d'ailleurs aussi que certains suffixes ou certains préfixes ajoutés au verbe peuvent manifester des aspects : "sautiller" est itératif par rapport à "sauter", "redire" ou "rejouer" répétitif par rapport à "dire" ou "jouer".

    Ainsi "je suis en train de" indique la durée ou l'aspect continuatif, le présent seul pouvant prendre de fait de très nombreuses valeurs : "j'écris" pouvant aussi bien signifier "je suis en train d'écrire au moment où je parle", ou bien "j'écris tout le temps", c'est-à-dire "je suis écrivain", ou encore que dans un futur imminent je vais écrire (cf. "j'écris ma lettre et je te rejoins"), etc. De la même façon "je me mets à écrire" indique clairement un aspect inchoatif", etc.

    Les adverbes ou locutions adverbiales ("longtemps", "souvent", "tous les jours"...) expriment selon les contextes le continuatif ou l'itératif par exemple, comme "hier" exprime le temps dans "Hier j'arrive devant le cinéma, que vois-je ?...".

    Parmi tous les aspects qui peuvent être exprimés dans la phrase et qui se manifestent de façon très diverses, le premier qui correspond en français à une "valeur de base" portée par la base verbale, par le "mot" verbe, le "verbe à l'infinitif" (comme dit Bonnard) avant toute mise en texte, est ce que l'on appelle l'aspect perfectif/imperfectif. L'aspect imperfectif appliqué à une action l'envisage dans son déroulement ; elle est présentée comme inachevée ; l'aspect perfectif la montre déjà achevée en même temps que commencée ; plus exactement on pourrait dire qu'elle est envisagée comme purement ponctuelle. Ainsi "voyager" (imperfectif) s'oppose à "saisir" (perfectif).

    On pourra ainsi s'habituer à classer les verbes français avant leur mise en contexte, qui peut complètement changer leur valeur : un verbe perfectif peut, lorsque l'on utilise des outils divers appropriés prendre en contexte une valeur imperfective. On réfléchira à ces exemples : "Mourir" >< "se mourir" "ouvrir" >< "être en train d'ouvrir".

    L'aspect "imperfectif / perfectif"

    imperfectifperfectif
    voyager partir
    vivre mourir
    chercher trouver
    dormir bondir
    être assis s'asseoir
    manger avaler
    tâtonner saisir

    Le contexte peut tantôt annuler la valeur de base, et peut tantôt la renforcer. Ex. :

    • "Il passe son temps à voyager", "Il n'arrête pas de voyager" : le sens imperfectif du verbe est en quelque sorte prolongé, renforcé par les marques de continuatif ou d'itératif
    • "Il n'en finit pas de mourir" : ici l'énoncé devient imperfectif, duratif... malgré la valeur de base du verbe "mourir"
    • "boire" dans "boire un verre de vin" est certes imperfectif, mais "il boit", sans complément devient au moins itératif !

    On comprendra mieux ainsi les exemples de Bonnard,

    Pendant une heure il a dormi
    Pendant une heure il a demandé à boire

    qui montrent clairement que le passé composé utilisé dans les deux phrases, ainsi que la locution adverbiale ("pendant une heure") qui ne varie pas, ne sont pour rien dans l'expression réelle de l'aspect (continuatif en 1), itératif en 2). C'est ici la valeur de base du verbe qui est décisive : le premier (dormir) étant imperfectif, le deuxième (demander) étant perfectif.

    Viendront donc ensuite comme aspects donnés par le contexte :

    • continuatif / non continuatif
    • itératif / non itératif
    • semelfactif / non semelfactif
    • inchoatif / non inchoatif
    • terminatif / non terminatif
    • imitatif / non limitatif
    • ...

    Quelques exemples :
    "Pierre se met à manger" (inchoatif)
    "Le Parlement siégea pendant l'été 1987" (limitatif : le procès est compris dans les limites de l'été))
    "Le Parlement siégeait pendant l'été 1987" (non limitatif : le Parlement siège avant et après l'été)
    "Il va ramasser des champignons chaque semaine", "A chaque instant il réclame sa gomme" (itératif)