• Le coma interminable d'Ariel Sharon

    C'est un quasi-rituel. Chaque année, au début du mois de janvier, les médias israéliens évoquent Ariel Sharon, l'ex-Premier ministre, plongé dans un coma profond depuis le 4 janvier 2006. Au début, avec force : télés, radios, presse écrite, tous accordaient une place importante au rappel de l'événement. État de santé détaillé du comateux le plus célèbre du pays, interviews de ses proches, de ses deux fils, de sa bru, d'anciens compagnons de route, sans oublier son chauffeur, Gilbert Cohen. Mais, à la longue, le silence imposé par son entourage et une actualité toujours fébrile ont fait leur oeuvre. Les médias se sont lassés et la plupart des Israéliens ont oublié celui qu'ils avaient tant aimé ! "Arik, roi d'Israël", n'est plus qu'un vieil homme de 83 ans, terrassé par un AVC dévastateur, alité quelque part dans la chambre d'un hôpital spécialisé de la banlieue de Tel-Aviv.

    Pourtant, de loin en loin, le "vieux lion" se rappelle au bon souvenir du pays. D'abord, parce qu'il y a ses deux fils. L'aîné Omri, qui, tout récemment, a créé le buzz en reprenant du service en politique pour soutenir Tzipi Livni, la chef de l'opposition et présidente de Kadima, le parti créé par Ariel Sharon fin 2005 et dont les primaires auront lieu à la fin de ce mois. Omri Sharon a fait de la prison pour violation des lois sur les financements électoraux, falsification de documents et parjure. Des démêlés avec la justice qui ne sont pas terminés. Avec son frère cadet, Guilad, il fait l'objet d'une enquête dans une affaire de pots-de-vin.

    "Il bouge les doigts"

    Mais c'est surtout Gilad qui s'est fait remarquer avec le livre qu'il vient de publier : Sharon: The Life of a Leader (Sharon, la vie d'un chef). Une biographie, entre amour filial et admiration sans bornes pour le "héros de nos vies". Concernant le soir du 4 janvier 2006, l'AVC fatal et ses conséquences, le livre ne donne aucun scoop. Mais des anecdotes, notamment la décision des deux frères d'imposer à l'équipe médicale de tout faire pour maintenir leur père en vie. "Une décision instinctive et dictée par l'amour filial qui, ensuite, s'est avérée médicalement justifiée, écrit Gilad. Le scanner fait dès l'arrivée à l'hôpital, le 4 janvier au soir, avait été mal interprété." Autre confidence, cette fois lors de la promo du livre : "Quand il est éveillé, il me regarde et, à ma demande, il bouge les doigts... Je suis sûr qu'il m'entend..." Pour les deux fils, Arik est dans un état de "conscience minimale". Certainement pas dans un coma irréversible. Alors, depuis six ans, ils sont à son chevet, matin et soir, à tour de rôle. Au menu : lecture de journaux et de livres, CD de musique classique, télévision, surtout des documentaires animaliers. Autour du comateux, ils ont disposé les photos de ses petits-enfants et, régulièrement, sa chambre est fleurie. Les bouquets proviennent des Sycomores, le ranch familial dans le Néguev. Ce sont les fleurs préférées de sa seconde épouse adorée, la mère d'Omri et de Gilad, morte à l'automne 2000 des suites d'un cancer.

    Qu'en pensent les médecins ? Officiellement rien. Mais quand on leur promet l'anonymat, c'est plus clair : "Son cerveau n'a plus que la taille d'un pamplemousse. Seule la partie qui permet à son corps et à ses organes vitaux de fonctionner est normale. Mais, à part cela, il n'y a rien. Seulement du liquide." D'autres membres de l'équipe médicale, plus critiques, parlent de situation pitoyable qui se poursuit uniquement parce que c'est Ariel Sharon. Alors, acharnement thérapeutique d'une famille qui ne se résout pas à l'irréparable ? Le mot n'est jamais prononcé. Pas de polémique non plus, autour de la décision de l'État de prendre en charge la moitié du coût annuel du traitement, dont la facture s'élève à près de 300 000 euros. 

    Installation

    De fait, le dernier pic de fièvre médiatique remonte à l'automne 2010, avec le transfert d'Ariel Sharon dans son ranch. L'idée a été abandonnée après un essai de quelques jours. L'autre événement fut artistique. Une galerie d'art moderne de Tel-Aviv a présenté une installation réalisée par un sculpteur israélien, Noam Braslavsky. On y voyait un Ariel Sharon, grandeur nature, allongé sur un lit d'hôpital. Le mannequin, revêtu d'un pyjama bleu, avait les yeux ouverts alors que son gros ventre se soulevait au rythme de la respiration. "Le corps de Sharon respirant encore est une allégorie du corps politique israélien, une existence dépendante et sous assistance, perpétuée artificiellement", pouvait-on lire dans la plaquette explicative.

    Enfin, il y a la plaisanterie en vogue : Ariel Sharon sort du coma, ouvre les yeux et s'étonne d'être là, dans cette chambre d'hôpital. À l'infirmière accourue pour constater le miracle il demande des explications. Celle-ci lui répond et en profite pour lui conter par le menu tout ce qui s'est passé en six ans. La seconde guerre au Liban, la guerre à Gaza, le retour au pouvoir de son ennemi politique numéro un, Benyamin Netanyahou. Après un silence de quelques instants, Ariel Sharon lui saisit le bras en lui disant : "Please, replongez-moi dans le coma !"