• Plus de 11 minutes en apnée

    Onze minutes en apnée pour Mifsud, l'homme poisson

    Stéphane Mifsud a battu le record du monde à sa deuxième tentative effectuée, hier, dans la piscine familiale de La Crau. L'exploit a été validé par des juges internationaux.
    Stéphane Mifsud a battu le record du monde à sa deuxième tentative effectuée, hier, dans la piscine familiale de La Crau. L'exploit a été validé par des juges internationaux. Crédits photo : TSCHAEN/SIPA
    • Le Varois a pulvérisé lundi le record du monde d'apnée statique (11'35). Une prouesse physiologique et mentale hors norme.

    C'est un défi lancé à la mort, un cas pour la science. Le Varois Stéphane Mifsud a, lundi après-midi, repoussé un peu plus loin les limites du corps humain. En passant 11 minutes et 35 secondes sous l'eau en apnée statique dans la piscine familiale de La Crau, près de Hyères, il est devenu le premier homme à passer plus de onze minutes sous l'eau. Le fruit d'un entraînement hors norme. Six mois d'ascèse passés à manger des pâtes à l'eau et de la salade sans condiment. «Il mangeait juste pour tenir debout», confie sa mère. Durant cette période, Mifsud a séché, 8 % de matière grasse, et s'est forgé un mental d'acier. «C'est un homme pointilleux, précis et extrêmement rigoureux», confie Fabrice Jouliat, maître de conférences en physiologie de l'extrême à l'université de Toulon, chargé d'établir le programme d'entraînement de Stéphane Mifsud.

    Un programme surprenant : cet hiver, pendant les quatre premiers mois de sa préparation, l'apnéiste n'a pas mis un seul orteil dans l'eau. Des parties de tennis, de squash, énormément de course à pied et 7 000 km de vélo sur les routes du Var, composent ses journées. Et puis il a fallu enfiler à nouveau une combinaison. Un travail quotidien de six heures en piscine où il enchaîne d'hallucinantes séries. «Quinze fois 5 minutes avec 30 secondes de récupération entre chaque apnée», confie le champion.

    Lundi après-midi, sous les yeux de ses proches, Stéphane Mifsud s'est échauffé pendant 45 minutes. Il aligne alors quatre apnées. Montant petit à petit en charge, il atteint jusqu'à 8'30, sans bouger et sans respirer, avec un cœur qui bat 18 fois par minute. A 15 h 03, c'est l'heure de vérité. Stéphane Mifsud remplit ses poumons de 11 litres d'air - une capacité deux fois supérieure au commun des mortels. Une aspiration interminable. Sous la combinaison, le diaphragme se déforme. L'apnéiste émet un râle. Comme un mourant qui suffoque. Puis il plonge sa tête sous l'eau.

     

    «Autohypnose»

     

    Avec lui, tout le pourtour de la piscine familiale retient son souffle. Et puis à 7'11, c'est la catastrophe. Stéphane relève la tête. Une déception infinie se lit sur son visage. «À ce moment-là, je voulais tout arrêter», confiera-t-il un peu plus tard. C'est là qu'intervient David Hache, son entraîneur. «Je l'ai rassuré. Je lui ai dit qu'il serait plus fort dès cet instant.» Le temps pour Stéphane de se rassembler, de retrouver le mental d'un gagneur. Cinq minutes passent. Mifsud replonge la tête sous l'eau. Il reste inerte. «Je fais le macchabée. Pour ce qui est des quatre premières minutes, je suis en état de sommeil. Je pratique l'autohypnose, explique l'apnéiste. Le tout, c'est de gérer la phase de réveil. Il ne doit pas être trop brutal. C'est là que mon corps commence à réclamer un peu d'oxygène.»

    Les minutes suivantes sont des minutes de souffrance. L'apnéiste entre dans une phase de lutte. La tentation de lâcher de précieuses bulles d'air pour se soulager, et de sortir la tête de l'eau se fait de plus en plus sentir. Les muscles se contractent, l'acide lactique oppresse l'organisme. «Ces moments-là sont les plus durs à gérer. C'est un voyage intérieur. Un rêve qui fait parfois peur.» Après 9'30, David Hache fait un signe à l'assistance. La trentaine de personnes massées autour du bassin pousse son champion. Le précédent record de l'Allemand Tom Sietas (10'12'') est effacé. Une éternité. À 11'35'', Stéphane Mifsud sort la tête de l'eau. Pour valider son record devant les juges italien et croate de l'Association internationale pour le développement de l'apnée (Aida), le Varois a 15 secondes pour enlever son masque, faire un signe, et prononcer «I am OK». Il n'a même pas les lèvres bleutées. Les juges sortent un carton blanc. Le record est validé. Reste à pratiquer un test antidopage. Sur le bord de la piscine, un autre Français, Guillaume Néry, ancien recordman du monde des profondeurs, avec - 113 m en poids constants (à la seule force des palmes) salue la performance de son ami : «Ce que Stéphane et son équipe ont fait est tout simplement hors norme.» Les dauphins n'ont qu'à bien se tenir.