• La situation des profs en France

    La situation des profs en France et  au Maroc

     

    Remarque : Bien que cet article traite de la situation des profs français après un suicide tragique de l'un de leur collègue, il semble étrangement correspondre exactement à ce qui se passe au Maroc !!!

     

    1. L’omerta ou presque ( N.B : l'omerta c'est la loi du silence dans les milieux mafieux)

    Les profs ne sont pas réellement soutenus par leur hiérarchie – qui aime beaucoup étouffer les affaires ou minimiser par exemple le climat de violences. Il faut savoir que les chefs d’établissement jouent leur mutation et leur promotion sur les "états de service" officiels qu’ils produisent eux-mêmes sur leur propre établissement auprès du rectorat. Et ce particulièrement depuis que le gouvernement Fillon, via le ministre Luc Chatel a lié mobilité des chefs d’établissement et contrats d’objectifs.

    En fait, la visibilité de leur enseignement, son image dans les médias, la publicité que connaissent les projets d’établissement dont ils se prévalent, ou sous lesquels ils apposent leur signature, tout cela a un impact sur leur carrière (mutations et primes), c’est un peu leur "carte de visite", leur CV. Et il faut que ce CV reste bien sûr le plus immaculé possible.

    Ils ont donc directement et personnellement tout intérêt à masquer les réalités si elles s’avèrent gênantes pour leur carrière. On comprend mieux pourquoi le premier réflexe devant les caméras c’est dire qu’il "n’y a pas de problème". L’omerta ou l’hyper-euphémisation ne constituent pas une fatalité mais sont encouragées par un système de promotion qui lie ainsi tranquillité et efficacité. 

    2. Les petits chefs et le harcèlement moral

    Le harcèlement moral peut d’autant mieux prospérer au sein de l’Éducation nationale qu’aucune instance juridique spécifique ne garantit la protection salariale et morale de l’enseignant. Pour se protéger, contre le pouvoir abusif d’un chef par exemple, il a des pis-aller ou des palliatifs mais mineurs : des syndicats, une autonome de solidarité, et la sacro-sainte "médiation" est toujours conseillée (voir plus haut pourquoi).

    Il n’est pas rare qu’un chef se comporte mal, outrepasse ses prérogatives, etc. Il y a partout la même logique sans doute de petits chefs, courtisans à l’œuvre, comme dans n’importe quelle entreprise. Sauf que l’enseignant lui n’a pas les prud’hommes pour faire valoir ses droits au besoin. Officiellement, il existe au sein des rectorats des "médiateurs académiques", toujours injoignables.

    3. Pas de protection médicale

    Aucun suivi psychologique de l’enseignant n'est assuré. Pourtant, il est médicalement, moralement et psychologiquement très exposé aux fragilités de la vie. Avoir affaire à des adolescents ou des enfants ce n’est pas un métier "pépère". Émotionnellement c’est prenant, passionnant et usant.

    Souvent, le professeur est confronté à la misère du monde, comme un médecin peut l’être aussi au contact de ses patients. L’enseignant est pourtant tout seul avec ce lot, ce flot de sentiments, de questions, avec sa fatigue, sa nervosité, ses angoisses, avec ses aventures humaines (105 personnes différentes à côtoyer chaque jour).

    Les redéfinitions de carrière, les pauses, les parenthèses pour mieux rebondir, les secondes carrières ou, au contraire, les accompagnements psychologiques pour mieux continuer sa carrière, ne font pas partie des services accordés aux enseignants. Or, on en a sans doute besoin plus que les autres, il y a va de notre santé mentale, de notre disponibilité psychique et de notre efficacité relationnelle avec les élèves. Je n'ai jamais vu un seul médecin du travail alors que je suis en contact avec une centaine d'ados par jour depuis sept ans.

    4. Aucune maladie professionnelle ?

    Officiellement, même si les pneumologues, les osthéos, les kinés, les ophtalmos, les médecins généralistes pourraient nous en dire un rayon sur les réalités médicales typiques des enseignants, il n'y a pas de maladie professionnelle reconnue et prise en compte.

    Pourtant, ces pathologies sont légion et sont facilement identifiables : problèmes de posture (position debout prolongée), cordes vocales (kystes typiques), problèmes ophtalmologiques, expositions aux divers virus des centaines d'élèves côtoyés au quotidien, stress dû au climat de violence et de dénigrement, stress dû à la pression de l'obligation de réussite des élèves...

    5. Le niveau de vie est très bas, ridiculement basRésultat de recherche d'images pour "images de profs misérables"

     

    Travailler plus mais gagner moins. Pourquoi gagne-t-on si peu alors que concrètement on est davantage prélevé (prélèvements obligatoires), que les prix ont augmenté, et que les conditions de travail se sont dégradées – plus d'élèves par classe, plus de charge de travail et donc plus de temps de travail ?

    La charge de travail, le temps de travail et les cotisations obligatoires (je ne parle même pas de la hausse du coût de la vie) ont augmenté, mais pas les salaires, qui en fait ont baissé depuis plusieurs années. Les mesures coups-de-pouce sont ponctuelles (quelques aides aux néo-profs) et médiatiquement marquantes, mais ne concernent qu'une infime minorité, et les frais eux, ont explosé : essence pour les trajets, logements aux prix délirants, achat de livres et matériel pédagogique souvent à ses propres frais... Les profs ne sont en rien des privilégiés.

    6. Le prof est corvéable à merci

    Un prof ça mute pas mal : dur donc de stabiliser sa vie dans ces conditions, et d'ailleurs les médecins qui refusent la mobilité ont bien compris ça. Première mutation, on a 72 heures pour traverser la France, se trouver un logement (de fortune au début, souvent). Assez drôle quand on songe qu’on est censé incarner un point de repère fixe, un pôle de stabilité dans la vie de nos élèves alors que nous-mêmes sommes ballottés...

    Le prof des années 90 et 2000 n’est pas assuré, bien qu’il ait passé tous les concours requis, les plus officiels et transparents, d’avoir un poste fixe. Il doit prendre, un peu à l’instar de ce qu’on impose dans les pôles emploi, ou dans les boites d’intérim, les postes qu’on lui donne : poste éclaté en plusieurs lieux de travail, enseignements en bouts d’heures (les "BMP"), des reliquats horaires, il est bouche-trou, trois heures par ci, 4 heures dans un autre collège, 5 heures dans tel lycée à 20 km. Parfois cela relève de l’ubiquité : le matin être dans tel établissement, une heure après à l’autre bout du département. Il est VRP.

    C’est le prof mobile des années 2000, le "TZR" (titulaire sur zone de remplacement). Belle hypocrisie cet acronyme : tu as signé pour un boulot fixe, tu es nomade. Tu as ton poste, tu es "titulaire", mais pas vraiment, en fait. Tu refuses ? "Abandon de poste", rétorquera le Rectorat. Le deal est clair : accepter l’inacceptable ou dégager. L’Éducation nationale, tu l’aimes ou tu la quittes. Leçon très bien intégrée par les étudiants et les aspirants au métier, puisque on n’a jamais autant peiné à recruter. 

     

    7. Les conditions de travail se sont dégradées

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    Je ne parle pas seulement de la violence, finalement presque supportable où tous les enseignants savent qu’ils ne sont que les témoins et révélateurs (au sens chimique du terme) de cette violence, et non les responsables de cette violence sociale. Le prof panse comme il peut une société malade dont une des manifestations est de temps en temps, souvent dans certains quartiers, des explosions de violences dont les premières victimes sont les élèves eux-mêmes. C’est un scandale, mais le vrai problème n’est pas là.

    Si le prof connaît bien son champ de bataille, il faut comprendre qu’il est désormais moins armé pour se battre, et c’est cela qui écœure une partie de la profession.

    En quelques années, ses conditions de travail se sont dégradées. À plusieurs niveaux :

    Plus d’élèves par classe, jusqu’à des effectifs délirants : c’est l’assurance que le cours sera difficile, éprouvant et moins pédagogique. Évidemment avec 15 élèves par classe, comme c’est le cas en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie, enseigner est plus simple, plaisant et efficace. J’oserais même dire que c’est plus pédagogique.

    On a privé le prof de son pouvoir d’expertise : en conseil de classe, en commission de passage d’une classe à l’autre, son pouvoir n’est plus décisionnaire. Tous les gouvernements successifs ont travaillé depuis vingt ans à l’érosion savamment pensée, régulièrement confirmée, des prérogatives disciplinaires et didactiques de l’enseignant. Les parents ont pleine license pour contester son enseignement, la parole du prof ne vaut plus grand-chose dans les diverses instances éducatives d’un établissement et les familles, les élèves, le savent très bien.

    Des leviers reponsabilisants pour les élèves, crédibilisants côté profs ont aussi disparu : désormais un élève qui rate son bac en terminale se verra réintégré automatiquement une nouvelle terminale afin qu’il sorte de son établissement doté d’un examen car toute formation est désormais diplomante, comprendre : obligatoirement diplomante. Être au lycée cela veut automatiquement dire décrocher tôt ou tard, bien ou mal son bac et avec désormais des allègements d’épreuves encouragés par le ministère et les académies pour les redoublants !

    Finalement, le manque de travail est récompensé ! De la même façon, les mentions sur le comportement de l’élève ne sont officiellement plus admises dans les synthèses en bas de bulletins et livrets scolaires. Un élève odieux ne sera même pas stigmatisé pour son comportement et son dossier vaudra autant que celui d’un élève soucieux des règles. Très démotivant pour les élèves "réglo", et très affaiblissant pour la communauté enseignante qui ne peut faire valoir aucun absolu en matière d’autorité puisque toute remarque même justifiée finira au panier. 

    Tout enseignant sait et expérimente chaque jour combien l’autorité est un dosage complexe, mouvant, individuel et circonstancié, mettant en jeu des dizaines de paramètres : le rapport à la classe, le charisme intellectuel, l’énergie didactique, le lien de confiance qui s’est tissé avec une classe au long cours, mais aussi la force institutionnelle. Si son expertise est régulièrement et ouvertement dévaluée, le prof lui-même s’en trouve affaibli. 

    Faute de salaire décemment adapté aux compétences, à l’investissement durant les études, à l’énergie déployée, l’enseignant tient à son temps, qui est son ultime richesse : temps de réflexion, de maturation (outre le temps de préparation et de correction) parce que ce temps de digestion intellectuelle et de formation culturelle continue fait partie de son métier. Sauf que ce temps n’est pas si élastique, ni si étendu.

    Contrairement aux stéréotypes populistes – souvent lancés, il faut bien le dire, par quelques anciens mauvais élèves aigris et vindicatifs –, un prof ça travaille beaucoup : on est largement au-delà des 35 heures hebdomadaires fustigées par François Fillon, les témoignages ont montré qu'un prof travaillait en moyenne 45 heures par semaine.

    Tous les conjoint(e)s d’enseignants savent qu’un prof, c’est la plaie dans une vie de couple. Le prof travaille le soir, la nuit, parle de ses élèves, sacrifie les soirées et les weekends. Copies (de plus en plus nombreuses par classe), préparations de cours (de plus en plus contrôlés, soit), documentation, livres à consulter ou éplucher pour nourrir le cours. Le prof ne finit pas son travail lorsqu’il rentre le soir à la maison : on pourrait presque dire qu’une fois la prestation interactive en classe, plutôt théâtrale et marrante (bien que physiquement usante), le prof commence son travail le soir venu. Le travail à la maison, c’est la partie immergée de son iceberg professionnel.

    Le métier est très beau, souvent émouvant, extraordinairement riche, il est très bien, sauf quand cela se passe mal. Et politiquement, statutairement, institutionnellement, il semble qu'on ait tout fait depuis 15 ans au plus haut niveau pour que cela se passe de plus en plus mal. Par conséquent, non,  je ne suis pas surpris par les amas de cadavres de profs.