• Le fait divers.

    C'est quoi au juste un fait divers ?

     

    Un fait divers est souvent un événement tragique qui attire l'attention parce qu'il frappe sans prévenir et souvent des personnes très ordinaires. On dit ainsi que les accidents, les viols, les disparitions, les meurtres, les catastrophes sont des « faits divers ». Dans certains journaux, ils sont classés dans la rubrique « fait divers », dans d'autres ils figurent sur la première page, à la « une ».

    A/ Définitions lexicographiques : fait divers et événement.

     1. Définitions du fait divers.

    b) Les notions récurrentes du fait divers.

    On remarque aussi que la thématique qui se dégage de cette définition se retrouve aujourd’hui dans les titres de la rubrique ‘‘faits divers’’. Le lexique utilisé dans ceux-ci est le suivant : ‘‘accident’’, ‘‘naufrage’’, ‘‘inondation’’, ‘‘incendie’’, ‘‘suicide’’, ‘‘crime’’, ‘‘enlèvement’’, et ‘‘hold up’’. Ces thèmes ne sont ni anciens ni modernes : ils sont intemporels et récurrents. C’est pour cette raison qu’on peut dire que le fait divers l’est aussi : en effet, un crime passionnel vieux de cent ans est compris par le lecteur de la même manière que celui qu’il a lu aujourd’hui. Ce genre d’information passe les âges sans jaunir car, comme l’a fait remarquer Roland Barthes, repris par Georges Auclair:
    ‘‘[le fait divers] est une information immanente : elle contient en en soi tout son savoir : point besoin de connaître rien du monde pour la consommer [...] tout est donné dans un fait divers : ses circonstances, ses causes, son passé, son issue; sans durée et sans contexte, il constitue un être immédiat, total qui ne renvoie, du moins formellement à rien d’implicite. C’est en cela qu’il s’apparente à la nouvelle et au conte, et non plus au roman.’’.

    Mais il n’est pas seulement intemporel. Aujourd’hui le Petit Larousse Illustré est bien plus bref et imprécis que son aîné du XIXème siècle. C’est peut-être l’époque qui veut cela... Pour les lexicographes du Larousse actuel, le fait divers est, au singulier : ‘‘un événement sans portée générale qui appartient à la vie quotidienne’’, et au pluriel :
    ‘‘ [une] rubrique de presse comportant des informations sans portée générale relatives à des faits quotidiens (accidents, crimes, etc.)’’. Cette définition apporte une précision essentielle qui permet de cerner, avec d’autres, le genre du fait divers : son contexte est défini, il se produit dans le quotidien, le nôtre mais aussi et de préférence dans celui des autres car ce ‘‘fait de la vie quotidienne [est] souvent de nature criminelle, [et il désigne aussi] une nouvelle ponctuelle concernant des faits non caractérisés par leur appartenance à un genre.’’.


    Aux notions d’intemporalité et de quotidienneté s’ajoute celle de proximité. Sans cette dernière, comment hiérarchiser l’information? Un fait divers restera sans importance ou au contraire sera retentissant pour le lecteur s’il s’est produit plus ou moins loin de chez lui, s’il concerne une personne de sa famille, de son travail, ou de sa commune. La proximité du fait et de son lecteur détermine donc l’intérêt de l’information qui deviendra un événement essentiel ou sans importance pour lui, un ‘‘chien écrasé’’. Ainsi la mort dans un accident de voiture du président du tournoi intercommunal de pétanque de la Motte-Beuvron, par ailleurs tout à fait fictive si ce président existait, fera la ‘‘une’’ dans le quotidien local tandis que la presse nationale parisienne ignorera jusqu’à l’existence de ce village de Sologne. Le choix de faire paraître ou non un fait divers est de ce point de vue extrêmement arbitraire. Heureusement pour le journaliste, d’autres critères de sélection entre en jeu et font partie du genre du fait divers.

    Après l’intemporalité, la quotidienneté et la proximité, le Dictionnaire Historique de la Langue Française, déjà cité, dévoile dans sa définition l’objectif essentiel du fait divers, la justification de sa présence, de son omniprésence dans les colonnes de tous les quotidiens y compris ceux réputés lus par les ‘‘élites’’ de notre société. Un fait est un fait, mais ici il est dit ‘‘divers’’. Or l’origine du mot vient de diversus, participe passé adjectivé du verbe latin divertere qui signifie ‘‘divertir’’. On publie cette information si elle est susceptible de divertir donc d’émouvoir le lecteur. Et quoi de plus émouvant que la mort par flot de sang, ou les amours pornographiques du viol qui s’étalent plus ou moins nettement dans la presse d’information.

    c) Vers une nouvelle définition du fait divers.

    On peut compléter ces notions récurrentes au fait divers en disant que c’est aussi une information qui n’appelle pas toujours les commentaires du ‘‘comment’’ et surtout du ‘‘pourquoi’’. En cela elle appartient au domaine du rêve ou du cauchemar. Elle est unique, extraordinaire, incroyable, elle renverse l’ordre logique couramment admis : cela peut être cet homme punis pour avoir mordu un chien, ou cette femme accusée d’avoir assassiné son amant avec l’aide de son mari. Dans ces deux histoires vraies et assez anciennes, le commentaire des ‘‘pourquoi’’ et ‘‘comment’’ sont possibles mais difficile à expliciter. Surtout, ces deux actes n’auront pas de conséquences politiques, les protagonistes étant des gens dit ‘‘ordinaires’’, encore moins économiques, mais sûrement journalistiques. Elles seront rapportées en brèves, en filets ou en articles dans la chronique des faits divers car elles ont une valeur forte d’exemplarité. Si cet homme avait été une personne publique, on aurait alors parlé de fait divers politique. C’est une dérivation artificielle du genre.

    Pour l’exemple, envisageons la mort en septembre 1997 de Lady Di. Elle est décédée dans un accident de voiture comme tant d’autres à Paris cette même année. Sa voiture roulait trop vite car elle était poursuivie par des paparazzi mais ce n’était pas la première fois qu’elle les fuyait de cette manière. Le conducteur de sa voiture avait bu trop d’alcool, mais ce n’était pas le premier idiot à l’avoir fait avant de conduire. Le cumul de ces circonstances banales voire habituelles a conduit, si j’ose, dire à un accident de la route des plus courants et des plus inintéressants. C’est un simple fait divers qui n’aurait pas été publié s’il ne s’était s’agit d’une personnalité internationale. Ainsi, a-t-on vu naître de la rubrique des chiens écrasés une affaire rarement autant médiatisée. On verra plus loin que la frontière entre le fait divers et l’événement journalistique est parfois floue et que cela explique certains choix de mise en page et de manchette.

    En résumé, le fait divers est un genre narratif qui ne s’adresse pas à l’intelligence de son lecteur car ‘‘[il] contient en soi tout son savoir : point besoin de connaître rien du monde pour la consommer.’’ C’est un produit émotionnel prêt à être consommé : il se conjugue au sang, au sexe, et à la mort qui comble le quotidien du lecteur las. Enfin, on pourrait donner à qui le voudrait cette nouvelle définition du fait divers :
    ‘‘genre d’informations relatives à la vie quotidienne dont les événements, plus ou moins proches de son consommateur, sont destinés à le divertir en lui faisant partager l’émotion des protagonistes.’’.

    Cette définition hyperonymique et non plus naturelle, comme celle proposée par les lexicographes du siècle dernier, ne respecte pas moins l’esprit traditionnel de la chronique des faits divers. Dès lors, on peut examiner l’usage de cette rubrique par les six quotidiens nationaux choisis : on va regarder s’ils respectent l’esprit de cette définition, et s’il y a des écarts, de quelle nature sont-ils. En clair, on va mettre en rapport le fait divers et l’événement qu’il va falloir avant tout définir.

    2. Rapports entre ‘‘événement’’ et ‘‘fait divers’’.

    a) Acceptions traditionnelles de ‘‘événement’’
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    Quand la presse parle d’événement, elle lui donne un sens différent en l’utilisant au singulier ou au pluriel. Tous les dictionnaires de langue donnent à ce mot deux définitions : c’est un ‘‘fait auquel vient d’aboutir une situation’’ ou bien un ‘‘fait d’une certaine importance dans la vie d’un individu ou d’un peuple’’.Pour décrire le mot ‘‘événement’’ ils utilisent le mot ‘‘fait’’ : cela signifie qu’on pourrait admettre ‘‘événements divers’’ en lieu et place de la rubrique ‘‘faits divers’’.

    De plus, les définitions citées sont à la fois précises et floues : précises pour l’événement comme résultat, issue d’une action qui aboutissent à une situation nouvelle. Mais elle est plus imprécise quand elle dit de celui-ci que c’est un ‘‘fait d’une certaine importance’’. Qu’est-ce à dire? Comment va-t-on juger l’importance d’un fait? Il est certain que l’assassinat d’un président ou d’un roi va avoir des conséquences importantes sur ‘‘la vie d’un peuple’’, mais qui oserait affirmer que la mort accidentelle d’un proche n’a pas d’importance dans ‘‘la vie d’un individu’’, pour le frère de la victime par exemple?

    De plus, ce jugement est faussé car les faits rapportés se situent dans un passé très proche. C’est pour cela que des erreurs d’interprétations se produisent. En effet, le journaliste se pose en historien du ‘‘presque présent’’ qui exclut le recul nécessaire pour juger l’importance d’un événement : il anticipe son aspect historique et prend la place de ceux a qui échoit cette mission : les historiens. Quel journaliste aurait pu affirmer à l’époque qu’un fait divers politique, l’assassinat en 1914 à Sarajevo de l’archiduc d’Autriche Francois-Ferdinand de Habsbourg, allait déclencher une guerre mondiale?

    La relativité d’une information est nette : le choix de l’événement est soumis à l’arbitraire du journaliste tant en ce qui concerne le fait divers que ‘‘l’événement du jour’’ étalé sur plusieurs pages. C’est encore la notion de proximité du journal avec son lectorat qui va permettre la hiérarchisation de l’information. On peut affirmer sans prendre beaucoup de risques qu’un quotidien reflète l’intérêt de ses lecteurs pour tel ou tel genre d’informations. Il suffit d’avoir deux ou trois notions de mercatique pour comprendre l’arbitraire d’une rédaction qui n’a pas d’autres choix que de donner à son public ce qu’il veut lire, car il faut bien vendre. Et on l’a vu, le fait divers n’échappe pas non plus à l’arbitraire des choix qui se feront en fonction de la ligne éditoriale traditionnellement liée aux présumés intérêts du lectorat.
    Alors peut-on dire que le fait divers et l’événement sont des synonymes autres que lexicologiques? Y-a-t-il fusion voire confusion des genres?

    b) Analogies et différences entre ‘‘fait divers’’ et ‘‘événement’’.

    On a vu que le fait est défini comme un ‘‘acte’’, un ‘‘événement’’, c’est ‘‘l’action de faire’’. On s’est intéressé à la détermination de ce substantif par l’adjectif ‘‘divers’’ au sens de ‘‘divertissants’’ et pas seulement de ‘‘différents’’. On a remarqué que ‘‘événement’’ était synonyme de ‘‘fait’’. Donc leur dénotation est la même. Peut-on alors dire que tout fait divers est un événement et que tout événement est un fait divers? On peut l’affirmer du point de vue lexicologique. Le Dictionnaire Alphabétique et Analogique de la Langue Française va nuancer le propos en établissant dans les entrées du mot ‘‘événement’’ tous ses déterminants qualificatifs et les mots auxquels ils renvoient par analogie. Ils sont classés selon deux niveaux de connotation : un premier niveau de connotations positives, négatives et neutres - car ni négative ni positive-, et un second niveau intitulé thématique. C’est ce dernier qui va être le plus révélateur. Les analogies entre le fait divers et l’événement sont rassemblés dans le tableau ci-après:






    Le premier constat est le nombre important d’occurrences d’événement à connotation négative; elles relèvent du tragique comme on le trouve en permanence dans la chronique des faits divers mais aussi dans l’histoire de l’humanité. Et il est bien connu que selon l’expression consacrée, les journalistes ne s’intéresse qu’aux ‘‘trains qui ne sont pas à l’heure’’. A propos de l’histoire, Marc Ferro fait remarquer que ‘‘poser le problème du fait divers, [c’est] s’interroger sur ce qui, pendant longtemps, pour la science historique, n’était pas l’histoire.’’. Or le dictionnaire analogique mentionne aussi comme déterminant à ‘‘événement’’ : ‘‘recueil, chronique, récit d’événements historiques’’, et donc ‘‘feuilleton’’.

    Le deuxième constat est le lien qu’entretient l’événement fortuit à connotation neutre avec le registre littéraire lui même en liaison avec le fait divers qui peut être défini aussi comme une histoire qui ‘‘accroche’’. Bref beaucoup d’analogies subsistent encore entre ces deux termes malgré leurs déterminants différents. Alors comment les différencier sans ambiguïté?

    Le Grand Larousse en cinq volumes fait la distinction entre le singulier et le pluriel du substantif ‘‘événement’’. Au singulier il donne : ‘‘fait marquant de l’actualité.’’, et au pluriel il propose : ‘‘ensemble des faits marquants de l’actualité, en particulier : troubles politiques ou sociaux graves.’’. Ces définitions donnent la vision journalistique de l’événement. Elle affirme qu’une information n’est événement que si les faits ont des conséquences sur le collectif et non pas seulement sur le particulier. La différence essentielle entre le fait divers et l’événement serait donc là : le premier concernerait le particulier et le second, le collectif. Les événements ne relevant pas du fait divers sont donc de nature politique, économique, social, diplomatique, scientifique, culturelle, etc. Tout cela compose et rempli les rubriques d’un quotidien. Cependant, le volume de celles-ci sera variable en fonction des rédactions et de leurs centres d’intérêt. L’événement du jour ne sera pas le même dans Le Monde et dans France-Soir. C’est du moins ce qu’on peut imaginer a priori, ce qui prouve encore la présence de l’arbitraire dans le choix de la publication des événements de la journée.

    Enfin, le rapport du fait divers et de l’événement est sensible dans les intitulés des rubriques. Libération donne en page 2 la rubrique ‘‘L’événement’’ et l’Humanité propose une rubrique ‘‘Evénement’’. Ces rubriques traitent une information considérée comme étant la plus importante de la journée. Et celle-ci peut être un fait divers. Les rubriques équivalentes dans Le Parisien et France-Soir s’intitulent respectivement ‘‘Le Fait du Jour’’ et ‘‘Le Dossier du Jour’’. Ici le fait du jour peut être un fait divers qui ailleurs sera ‘‘L’Evénement’’. On peut alors s’interroger sur la valeur nominale de ‘‘événement’’ dans le lexique de la presse et conséquemment sur celle de ‘‘fait divers’’. Il semble que ces deux notions se confondent parfois dans le langage de la presse.

    Au regard d’un journal, l’événement comme le fait divers est soumis au choix de sa ligne éditoriale. La hiérarchie de l’information est à géométrie variable; c’est ce qui est admis par la plupart des usagers occasionnels de la presse quotidienne. C’est pour cette raison qu’ils choisiront le Monde pour ses articles politiques ou économiques, ou France-Soir pour ses faits divers audacieux... Mais la division innée entre la presse populaire, qui accueille traditionnellement dans ses colonnes le fait divers, et la presse dite ‘‘intellectuelle’’, qui le considère négligemment, est-elle encore vraie aujourd’hui? Est-il justifié de parler d’informations sérieuses à propos de la politique, et de chiens écrasés pour les faits divers? Est-il encore pertinent d’opposer le groupe des intellectuels, composé du Monde de Libération et du Figaro, au groupe des populaires réunissant l’Humanité, France-Soir et Le Parisien-Aujourd’hui ? Enfin, la difficulté à définir précisément le fait divers et à le différencier nettement de l’événement, agit-elle sur le choix de l’information et de sa hiérarchie au sein des titres cités? Peut-on dire que ‘‘[...] les événements, on les commande, pensait Rivière, et ils obéissent, et on les crée. ’’?

    B/ le macrocosme du fait divers.

    1. les pratiques d’hier et d’ aujourd'hui de la chronique du corpus

    Un rapide parcours historique du corpus envisagé permettra de montrer quel fut l’usage traditionnel des faits divers dans les six quotidiens. Le premier groupe, composé du Figaro et de l’Humanité est le plus ancien. Le deuxième est le plus récent ; Le Monde, France-Soir, le Parisien, et Libération sont issus de la recomposition de la presse écrite après la Seconde Guerre Mondiale.

    a) 1854-1944 : deux idéologies de l’information.

    Le Figaro est le plus vieux des quotidiens français qui paraissent encore. Le 2 avril 1854, Hyppolyte de Villemessant ressuscite la cinquième feuille hebdomadaire portant le nom de Figaro. Neuf années avant le Petit Journal de Moïse Polydore Milhaud, Villemessant décrète qu’il faut avant tout plaire au public et ne pas chercher à lui imposer ni même prêcher une doctrine. A l’époque, cette volonté est une grande nouveauté qui se développera tout au long du XXème siècle. L’objectif de Villemessant est de diffuser son journal au plus grand nombre. Pour cela il réalise une mise en page claire, où tous les articles concernant la politique, le patriotisme et la philosophie sont bannis. Le succès arrive bientôt et en 1856 Le Figaro est publié deux fois par semaine. En 1869, il tire quotidiennement environ cinquante mille exemplaires ; depuis un an, il a la forme qu’on connaît aujourd’hui. Deux ans plus tard, la Commune met sous scellés les presses du journal et ‘‘s’invite’’ dans les bureaux de la rédaction. Las, Hyppolyte de Villemessant quitteLe Figaro en 1875.
    Il est repris et dirigé par Gaston Calmette, un centriste qui sera assassiné en 1914. Un autre personnage va s’illustrer durant cette période. Alfred Edwards va rentrer à l’âge de vingt ans au Figaro. Dix ans après, il va tenter sa chance en fondant en 1886 Le Matin qu’il revend en 1897. Il est considéré comme ‘‘l’inventeur du grand reportage et du fait divers bref et sensationnel.’’
    En janvier 1898 la rédaction demande la révision du procès Dreyfus suivant, avec d’autres journaux, l’Aurore et le fameux ‘‘J’accuse...!’’ de Zola. Le rédacteur en chef qui a choisit ce titre célèbre n’était autre que Clémenceau. Après l’assassinat de Gaston Calmette, c’est Robert de Flers et Alfred Capus qui dirigent Le Figaro. Ils respectent l’esprit apolitique des débuts, du moins il n’est ni de droite, commeLe Gaulois, ni de gauche comme l’Evénement.
    Un tournant dans l’existence du Figaro se produit en 1922. Après la mort d’Alfred Capus, François Coty, un très riche parfumeur également propriétaire du Gaulois, rachète le journal. Le style rédactionnel change et s’emporte vers les lieux nauséabonds du fascisme. Cela ne durera pas et Coty est évincé en 1934 par Alphand. Au mois de juin de la même année, l’article défini du titre Figaroréapparaît. Il est placé sous la houlette d’un comité de direction composé entre autres de Pierre Brisson et il est dirigé par Lucien Romier. Dans les années trente, les rédacteurs du quotidien n’étaient pas obligés de suivre la ligne politique du journal; la tradition est ainsi respectée.
    Arrivent les événements de la Seconde Guerre Mondiale; le 9 juin 1940, Le Figarose réfugie à Angers puis plus tard à Tour et à Bordeaux où il reste jusqu’à l’armistice. Pierre Brisson dirige le journal entre 1940 - après s’être évadé des prisons allemandes - et 1942 où il se saborde. En 1944 il profite du soutien politique des anciens résistants et reprend la direction du journal jusqu’à sa mort survenue en décembre 1964.
    Le Figaro a été dès son origine un journal satirique, un quotidien pour plaire et populaire. Il a accueilli durant dix ans Alfred Edwards qui y inventa le fait divers bref et sensationnel. Ce journal est de tradition populaire et on en voit encore aujourd’hui les marques dans l’utilisation qu’il fait du fait divers.

    Jean Jaurès fonde l’Humanité le 18 avril 1904 ( voir document 1). C’est alors l’organe des socialistes déjà divisés en plusieurs courants politiques : les centralisateurs, les fédéralistes, les révolutionnaires purs et les réformateurs possibilistes. Grâce à l’Humanité, Jaurès va réussir à les regrouper en créant en 1905 la ‘‘Section Française de l’Internationale Ouvrière’’. Très vite, dès 1910, le quotidien acquière une notoriété populaire en menant seul, avec la Bataille Syndicaliste, le combat contre le patronat de l’époque. Les grèves vont dégénérer dans la violence répressive du pouvoir; après quelques morts, le reste de la presse d’information va s’intéresser aux manifestants.
    L’Humanité refuse logiquement la présence de la publicité dans ses colonnes et incite ses lecteurs à s’abonner. Tout en fidélisant sa clientèle, ce moyen permet de vendre assurément un certain nombre d’exemplaire par jour, ce qui permet d’amortir les ventes au numéro en province qui ne rapportent pas d’argent.
    A l’aube de la première guerre mondiale, Jaurès défend dans l’Humanité la solution pacifique. Il est assassiné en 1914. Renaudel reprend le journal qui devient plus la tribune des députés que celle des journalistes. Le quotidien lutte alors pour la journée de huit heures, les assurances sociales, les allocations familiales et la retraite des personnes âgées. Après la guerre, l’Humanité résiste aux propositions léninistes et reste dans l’esprit jaurésien. Cela ne va pas durer. En décembre 1920, le journal amorce sa révolution... Au congrès du parti socialiste, les jaurésiens sont battus par la majorité des partisans de l’adhésion à la IIIéme Internationale Communiste. Devenus de fait des opposants, ils sont exclus par les bolcheviks. L’Humanité passe sous la direction de Marcel Cachin. En 1924, sous la houlette de Paul Vaillant Couturier, il devient un journal de combat et d’extrémisme.
    A partir de 1929, le journal a des difficultés politiques et financières. Ses dirigeants, Thorez, Cachin, Doriot, Duclos sont condamnés à de lourdes peines de prison pour ‘‘provocation de militaires à la désobéissance’’. Ils récidiveront, et le 28 février 1936 une information est ouverte contre l’Humanité pour diffusion de fausses nouvelles pouvant atteindre le moral de l’armée.
    De 1929 à 1934 il connaît de graves difficultés financière : le journal est réduit à quatre pages et n’est publié que cinq jours par semaine. Il se redressera en 1934 après le succès du Front Populaire aux élections et se maintiendra jusqu’à son interdiction en septembre 1939 par le gouvernement Daladier. Durant la seconde guerre mondiale, l’Humanité continuera sa publication dans la clandestinité prônant, pour cause de pacte germano-soviétique, la fraternisation avec les troupes allemandes et la haine contres les anglo-saxons.
    Après la guerre, l’Humanité tire 350 000 exemplaires par jour et atteint vite le chiffre de 450 000. Aujourd’hui le quotidien est en crise et ne tire plus qu’aux alentours de 80 000 exemplaires. Le 15 mars 1999, une nouvelle maquette est réalisée et pour la première fois, ses journalistes n’auront plus l’obligation d’avoir leur carte du parti communiste. Plus que populaire, ce journal est populiste car il est aussi l’organe d’un parti qui défend les gens d’origine modeste. Cela se traduit par une tentative de populariser des faits qui apparaissent nulle part ailleurs que dans l’Humanité, et par la présence de fait divers développé sur une page pleine et qui ferait trois lignes dans un journal régional. L’inverse est vrai comme nous le verrons dans le cas des deux jeunes suicidées. Comme tribune officielle d’un parti politique, ce quotidien se situe un peu à part dans le corpus choisi.

    2. De l’etalage au camouflage : les habitats du fait divers

    a) Mise en page des rubriques et lieux habituels du fait divers.


    Dans un premier temps, il est nécessaire d’établir la liste des rubriques qui composent les six quotidiens pour montrer les proportions de celle des fait divers par rapport aux autres rubriques. Cette liste dégagera son importance dans chacun des quotidiens. Pour cela on a opposé les deux catégories de presse couramment admises par le lectorat : d’un côté la presse ‘‘intellectuelle’’ avec le Monde, Le Figaro, Libération, et de l’autre la presse dite ‘‘populaire’’ avec l’Humanité, France-Soir, le Parisien.

    On a relevé dans le groupe ‘‘intellectuel’’ les rubriques fixes, celles situées en haut de la page et qui lui donne son titre. Ce sont aussi celles qui ne changent jamais sous la pression d’une actualité particulière ou d’une saison comme c’est souvent le cas dans les publications en période estivales.

    Ainsi dans Le Monde on trouve, des pages 2 à 36, ‘‘International’’ (p.2-5), ‘‘France’’ (p.6-9), ‘‘Société’’ (p.10-15), Carnet (p.16-17), ‘‘Horizons’’ (p.18-21 : reportages, analyses et débats), ‘‘Entreprise’’ (p.22-23), ‘‘Finances et Marchés’’ (p.24), ‘‘Aujourd’hui’’ (p.25-27 : informations sportives, météorologie et vie quotidienne , ‘‘Le Monde Initiatives Locales’’ (p.28-29 : annonces ciblées d’emplois), ‘‘Culture’’ (p.30-32), ‘‘Communication’’ (p.33), ‘‘Radio-Télévision’’ (p.34 : programmes), ‘‘Kiosque’’ (p.35 : revues de presse), et dernière page sans titre (informations diverses et générales). Il y a au total treize rubriques établies sur environ trente cinq pages. On trouve à lire les faits divers dans la rubrique ‘‘Société’’ : ils ont la forme de la brèves ou de filets, généralement situés en colonne à droite de la page, qu’on trouve dans la sous-rubrique ‘‘Dépêches’’ et leur nombre varie de trois à dix. On les trouve aussi dans la sous-rubrique ‘‘En Vue’’ de ‘‘Kiosque’’. A ces deux constantes s’ajoute celle du fait divers parfois développé en article dans ‘‘Société’’. A première vue, ce genre d’information est rare et peu promu dans cette publication.

    Selon les mêmes remarques que pour Le Monde, et qui sont valables pour les six quotidiens, on relève dans Le Figaro les rubriques suivantes : ‘‘La Vie Internationale’’ (p.2-4), ‘‘La Vie Politique’’ (p.5-9), ‘‘Notre Vie’’ (p.10-11), ‘‘l’Art de Vivre’’ (p.12-13 : santé, voyages, gastronomie), ‘‘La Vie au Masculin’’ (p.14 : mode, etc.), ‘‘La Vie au Féminin’’ (p.15), ‘‘Le Carnet du Jour’’ (p.16), ‘‘Science’’ et ‘‘Sport’’ (p.17), ‘‘Courses’’ et ‘‘Météo’’ (p.18), ‘‘l’Immobilier du Figaro’’ (p.19-21), ‘‘Le Marché de l’Automobile’’ (p.22), ‘‘La Vie à Paris’’ (p.23-25), ‘‘La Vie des Spectacles’’ (p.26-27), ‘‘La Vie du Marché de l’Art’’ (p.28), ‘‘Télévision- Radio’’ (p.29-31 : programme et critiques), ‘’l’Actualité’’ (dernière page : informations diverses et générales). Il y a en moyenne dans ce titre dix sept rubriques divisant environ trente pages. Pour lire un fait divers, on ne se trompera pas en les cherchant dans les rubriques ‘‘Notre Vie’’ et ‘‘La Vie à Paris’’ et en particulier dans leur sous-rubrique encadrée et intitulée ‘‘En Bref’’. Leur nombre varie de trois à douze et leur fréquence est journalière. On rencontre aussi dans ces deux rubriques des articles plus où moins développés qui traitent d’un fait divers. Ce genre est ici quantitativement plus présent que dans Le Monde mais qualitativement identique avec systématiquement des brèves et des filets mais aussi, plus souvent que dans celui-ci, des articles.

    Enfin, Libération compte seize rubriques étalées sur environ quarante cinq pages. Elles se présentent de la manière suivante : ‘‘l’Evénement’’ (p.2-4), ‘‘Débats’’ (p.5-6), ‘‘Monde’’ (p.7-10), ‘‘France’’ (p.11-14), ‘‘Métro’’ (p.15-17), ‘‘Vous’’ (p.18 : santé, etc.), ‘‘Economie’’ (p.19-21), ‘‘Finances’’ (p.22), ‘‘Annonces’’ (p.23-25), ‘‘Sports’’ (p.26-27), ‘‘Culture’’ (p.28-37), ‘‘Guide’’ (p.38 : exposition diverses, théâtre, etc.), ‘‘Météo Jeux’’ (p.39), ‘‘Médias’’ (p.40-41), ‘‘Télévision’’ (p.42-44), dernière page consacrée à une personnalité connue ou encore inconnue, ou à la publicité. On découvre à coup sûr le fait divers dans les rubriques ‘‘Métro’’ et ‘‘France’’ sous forme de brèves et de filets, situés en colonnes bordant la droite ou la gauche de la page, et parfois d’articles . Les faits divers sont plus difficiles à débusquer que dans les deux quotidiens précédents car ils sont souvent fondus dans des informations d’une autre nature.

    La structure de ces trois quotidiens est sensiblement identique. Dans la hiérarchie de l’information : aux nouvelles qui viennent de l’étranger succèdent celles venant de France qui précèdent les information régionale quand il y en a. A cet effet de zoom avant rédactionnel succède un travelling latéral qui va intéresser les autres rubriques dont la thématique est plus serrée : marchés financiers, nouveaux films, programmes de télévision, etc. L’effet de zoom avant, c’est le regard de la rédaction qui inspecte le monde en allant du plus large, les différents peuples, au plus étroit, c’est-à-dire à l’individu et à son quotidien, dont les faits divers font partie. Puis, ce regard reste régler sur cette focale réduite et il inspecte, comme un officier le ferait avec sa troupe, de manière successive le reste de l’actualité. Avec ce genre de structure, on débusque toujours les faits divers aux alentours de la page 14.

    Beaucoup des faits divers du groupe ‘‘intellectuel’’ sont traités sous la forme de brèves ou de filets et il arrive souvent qu’il soient développés en articles. S’ils restent minoritaires dans ces trois publications, ils ne sont pas négligés pour autant. Pourtant aucun de ces quotidiens ne donne à une rubrique l’appellatif ‘‘Faits Divers’’. On pourrait croire que ce groupe n’assume pas la publication de ce genre d’information et qu’il veut préserver son image de quotidiens sérieux. A moins qu’il ne veuille donner au fait divers le même statut que celui des autres informations.

    La structure des rubriques du groupe des quotidiens populaire est composée de manière différente. Nous trouvons dans l’Humanité douze rubriques étalées sur environ trente pages : ‘‘Clignotants’’ (p.2 : sous-titrée ‘‘L’actualité saisie au vol’’), ‘‘Evénement’’ (p.3-9), ‘‘France’’ (p.10-13), ‘‘Monde’’ (p;14-17), ‘‘Sports’’ (p.18-19), ‘‘Annonces Classées’’ (p.20), ‘‘Gourmandises’’ (p.21), ‘‘Culture’’ (p.22 : cinéma, théâtre, musique, etc.), ‘‘Chronique littéraire - Huma Livres’’ (p.23), ‘‘Culture’’ (p.24 : informations générales, médias), ‘‘Télévision’’ (p.25 : programmes, critiques), ‘‘Chronique d’Echecs - Jeux’’ (p.26), dernière page sans titre (brèves en tout genre). C’est dans cette page qu’on trouve des faits divers sous formes de brèves ou de filets, ainsi que dans la rubrique ‘‘France’’ sous ces mêmes formes et parfois développées en articles. Comme dans le groupe précédent, ils sont discrets et peu nombreux mais on verra plus loin que le caractère populaire de l’Humanité est décelable dans la thématique des faits divers qu’il relate.

    France-Soir divise ses vingt pages en douze rubriques plus un encart de quatre pages consacré aux courses de chevaux. On a dans l’ordre : ‘‘Le Dossier du Jour’’ (p.2-5), ‘‘Société - Paris’’ (p.6-9), ‘‘Etranger’’ (p.10), encart ‘‘Tiercé, Quarté, Quinte’’, ‘‘Chance (jeux de hasard, Loto) - Votre Quotidien’’ (p.11), ‘‘Sports’’ (p.12-13), ‘‘Automobile’’ (p.14), ‘‘Immobilier’’ (p.15), ‘‘Détendez-vous’’ (p.16 : mots croisés, bandes dessinées), ‘‘Pratique - spectacles’’ (p.17), ‘‘Télévision’’ (p.18-19 : programme, critique), dernière page consacrée à la publicité. Les rubriques ‘‘Société - Paris’’ et ‘‘Le Dossier du Jour’’ sont truffées de faits divers. On le trouve sous forme de brèves en colonne, en ligne, encadrées, surimprimées et très souvent en articles. Au premier coup d’oeil sur la mise en page, on a l’impression d’un fatras de faits divers, un ‘‘marché aux puces’’ de l’information sensationnelle. Son lieu de prédilection est la sous-rubrique ‘‘C’est pourtant Vrai’’ (voir illustration n°0 et n°1) inclue dans ‘‘Société’’. Composée de brèves et de filets, elle est l’équivalent illustré de ‘‘En Vue’’, publiée dans Le Monde (voir illustration n°2). Il se montre assez souvent dans ‘‘Le dossier du Jour’’. Il est omniprésent dans France-Soir et pourtant aucune rubrique ni sous-rubrique n’a l’appellatif ‘‘Fait divers’’. Est-ce-à dire que dans ce quotidien tout est fait divers?

    Le Parisien à choisi une composition légèrement différente. On y croise : ‘‘Le Fait du Jour’’ (p.2-5), ‘‘Votre Economie’’ (p.6-7), ‘‘La Politique’’ (p.8-9), ‘‘En France’’ (p.10-11), ‘‘Vivre Mieux’’ (p.12-14 : santé, voyages, vie pratique), ‘‘Les Courses’’ (encart numéroté de la page I à VIII), ‘‘Les Faits Divers’’ (p.15-18), ‘‘Les Sports’’ (p.19-21), ‘‘l’Horoscope et les Jeux’’ (p.22), ‘‘Journal de l’Automobile’’ (p.23), ‘‘Les Annonces Classées’’ (p.24), ‘‘Les Spectacles’’ (p.25-26), ‘‘La Télévision’’ (p.27-28 : critiques, interview), ‘‘A la Télévision’’ (p.29-30 : programmes), ‘‘La Circulation - Le Temps’’(dernière page). Les rubriques, au nombre de seize étalées sur trente cinq pages, sont les plus étanches entre elles. On ne lit des fait divers que dans une seule rubrique : celle qui porte leur nom. Ils y sont sous la forme de brèves, de filets et d’articles. Il arrive parfois qu’on en retrouve ‘‘Le Fait du Jour’’ mais il n’y est pas à sa place habituelle.

    Les rubriques du groupe des quotidiens populaires sont structurées de manière très ethnocentrique : les informations de l’étranger passent toujours après celles de la France. C’est en partie pour cela que l’Humanité est classable dans ce groupe. De même, le Parisien ne leur accorde même pas une rubrique. C’est à la fois la grande différence avec le groupe des quotidiens intellectuels et la plus nette du point de vue structurel.

    La structure des rubriques dans les six quotidiens est binaire (voir tableau n°2). Si on divise leurs rubriques en deux sous-groupes, on trouve dans les rubriques de la première partie de ces quotidiens, qu’on appellera Sous Groupe 1 des rubriques (initialisé S-G1 dans les tableaux), des informations politiques et sociales sur l’étranger et la France : elles concernent la vie des populations. Cependant, les rubriques du sous-groupe un sont variables : seuls Libération, France-Soir y ont une rubrique d’informations locales sur Paris et sa région. Dans le second groupe de rubriques, composant la deuxième partie de ces six journaux, qu’on nommera Sous-Groupe 2 des rubriques (initialisé S-G2 dans les tableaux), il y a des informations concernant la vie quotidienne, culturelle et pratique. Il est composé de rubriques communes aux six quotidiens : art de vivre aujourd’hui, automobiles, sports, finances, petites annonces, météo, programmes de télévision, plus une dernière, seulement dans le Figaro, sur Paris. Ces rubriques sont également développées par les deux groupes. Elles sont neutres, stables, et surtout elles ne sont pas susceptibles de se chevaucher, de se mélanger. Au contraire, la chronique des faits divers peut très bien se fondre, ou se répandre dans des rubriques autre que la sienne , perdre son nom et se retrouver dans ‘‘Société’’. Elle peut même disparaître temporairement si l’actualité l’exige comme c’est souvent le cas dans Le Monde. Contrairement aux autres informations, la présence des faits divers dans les rubriques des deux groupes est quantitativement très instable. C’est le constante d’une utilisation modérée ou immodérée et leur fréquence d’apparition qui permettent de dire qu’un quotidien est dit populaire ou élitiste.

    Au regard de ces premières constatations, fondées sur la place qu’occupe la rubrique des faits divers par rapport aux autres dans le corpus, exprimée en termes de nombre de pages et de situation géographique résumées dans les tableaux no2 et 3 ci-après, on peut affirmer que les quotidiens sont bien à leur place dans leur groupe respectif. Les lieux habituels du fait divers sont situés dans les rubriques composant la première partie des quotidiens intellectuels et populaires, mais aussi dans celles composant leur deuxième partie. Alors quelles différences peut-on établir entre les quotidiens du corpus à partir de cette répartition des faits divers dans les rubriques? De plus, le volume de ces lieux est variable entre les journaux intellectuels et populaires. En fondant la recherche sur ce dernier point et en y incluant la répartition des faits divers entre le premier et le deuxième sous groupe de rubriques ainsi que leur fréquences d’apparition, on arrive à casser la division supposée et admise entre les journaux à caractère intellectuels et ceux dit ‘‘populaires’’ On obtient dans les tableaux n°2 et 3 une classification supposée reconnue de ces quotidiens.





    1. Rhétorique et mise en page.

    a) Les maquettes du fait divers.

    La quantité très importante de faits divers publiés dans Le Monde, Le Figaro, l’Humanité, Libération, Le Parisien et France-Soir en 1996 et 1997 - probablement ni plus ni moins avant et après cette période- oblige à en sélectionner de manière la moins arbitraire possible. On a choisi trois faits divers qui sont représentatifs du traitement habituel de ceux qu’on trouve imprimés dans la rubrique de ces quotidiens. Ils sont représentatifs tant par leur thématique que par leurs mises en page et leurs formes énonciatives observées sur trois mois de parutions quotidiennes et neuf mois de lecture aléatoire de la rubrique des faits divers. Ainsi on étudiera principalement dans ce chapitre et dans le suivant, les faits divers ci-après:
    wle vendredi 7 mars 1997, Hélène, vingt et un ans, et Stéphanie, vingt ans, se suicident ensemble en se jetant du haut d’un immeuble de seize étages, à Reims
    (illustrations n°7 à n°13).
    wle lundi 9 septembre 1996, à 13H30, Nicolas Bourgat, quatorze ans, reçoit deux coups de couteau dont un dans le coeur. Il meurt dans une rue de Marseille
    (illustrations n°14 à n°36).
    wle mardi 13 août 1996 à 18H20, un commando de plusieurs individus attaque un Airbus sur l’aéroport de Perpignan-Rivesaltes. L’avion qui se positionnait sur sa piste, est alors bloqué par des hommes en arme qui ordonnent au pilote d’ouvrir une soute contenant des sacs de billets de banque. Bilan du braquage : quatre millions de francs en pesetas dérobés en deux minutes et trente secondes
    (illustrations n°37 à n°95).

    On s’attachera à démontrer dans les chapitres II et III que les différents traitements internes de la rubrique du fait divers dans les six quotidiens sont proches. Pour cela, il faut établir un schéma de la maquette du fait divers telle qu’on la trouve dans les publications du nouveau groupe des quotidiens populaires, qui sera pris comme référence, et la comparer avec celle du nouveau groupe des quotidiens intellectuels. Les contrastes, ressemblances et différences, apparaîtront sur la base des critères suivants:
    - un critère quantitatif. L’intérêt d’un quotidien pour tel ou tel fait se mesure par le nombre de numéros et d’articles qu’il consacre à ce fait.
    - un critère qualitatif. Ce même intérêt se ressent à travers le choix des thèmes du fait divers.
    - un critère fondé sur l’utilisation de l’espace. On décrira la mise en page de la première page. On y distingue les faits divers faisant ‘‘la une’’ de ceux qui apparaissent dans les titres. Puis on s’intéressera aux rubriques habituelles du fait divers données dans les tableaux n° 4a et 4b.
    - un critère fondé sur l’utilisation des illustrations. Elles ont deux formes : photographie et dessin.

    Pour éviter une longue et lassante description, les critères choisis seront rassemblés dans deux tableaux. Ces critères sont extraits des trois faits divers résumés plus haut : le suicide des deux jeunes filles à Reims, le braquage de l’Airbus à Perpignan, et la mort du jeune Nicolas à Marseille.

    La première affaire choisie est celle des jeunes suicidées (voir illustrations n°7 à n°13 ). C’est à la fois la plus simple et la plus surprenante. Cinq des six quotidiens relatent les faits. Seul l’Humanité ignore ce fait divers au thème pourtant rarissime. S’il n’y avait eu qu’une seule victime et dans les mêmes circonstances, la presse nationale l’aurait ignorée. Et il est fort probable que l’Agence France Presse (A.F.P.) n’aurait pas diffusé l’information à ses clients qui sont aussi bien Le Figaro, Le Parisien, Libération, France-Soir, Le Monde que l’Humanité:
    ‘‘[La rigueur de l’A.F.P.] doit aussi s’exercer dans le choix [des informations] qu’elle retient en vue de leur distribution et de leur importance qu’elle leur attribut.(...) Une agence reçoit plusieurs millions de mots par jour et n’en adresse que quatre cent mille aux plus grands journaux français (...). L’agence doit donc éliminer certaines informations qu’elle considère moins importantes. Elle doit posséder des critères de choix établis en fonction de l’intérêt du client. Elle doit ‘‘calibrer’’ les informations qu’elle juge nécessaire de publier c’est-à-dire décider de leur volume. Consacrer mille mots à une information, lui donner plusieurs développements à quelques heures d’intervalle, c’est évidemment la mettre davantage en valeur que la traiter en quelques lignes.’’.

    On peut donc supposer; que nos six quotidiens ont reçu la même dépêche d’agence et qu’un seul n’a pas jugé bon de l’introduire dans ses colonnes. N’ayant pas pu obtenir à temps les dépêches A.F.P. concernant les trois faits divers choisis, on ne peut rien dire sur l’existence ou non d’une pratique de réécriture de celles-ci dans les quotidiens. Quand elle n’a pas lieu, la déontologie voudrait que la publication cite sa source, ce qui arrive souvent dans Le Monde. Dans l’affaire des suicidées, aucune source n’est citée. Le plus gros du travail effectué par les quotidiens est l’organisation des informations, autrement dit leur mise en page. Elle est composée du trio titraille, illustration, texte. La mise en page est évidemment importante pour comprendre la hiérarchisation de l’information et donc l’importance accordée ou non au fait divers. Libération confie ce trio à trois services différents : il y a les spécialistes des titres, un service des illustrations - photographies, dessins - et les rédacteurs des articles. Les maquettistes organisent l’ensemble, créent une image, et donnent une personnalité différente aux six quotidiens. Ces maquettistes le font à partir des mêmes informations provenant de l’A.F.P. Et les suicidées?

    Aucun des cinq quotidiens n’accorde sa ‘‘une’’, ne fait sa ‘‘manchette’’ sur ce fait divers. Seul France-Soir donne l’information en titre dans la première page (voir illustration n°7). De même, aucun de ceux- ci ne l’illustre par une photo ou par un dessin. Seul Le Monde accorde de la place à cette information dans deux numéros. Comme souvent dans ce journal, elle apparaît une première fois sous forme de brève dans le numéro daté du 11 mars 1997, et une deuxième fois sous forme d’article le 14 mars 1997 (voir illustrations n°9 et n°10). Trois remarques s’imposent. Concernant la datation, Le Monde est un quotidien du soir qui date au lendemain les informations du jour. Il y aura donc toujours un jour de décalage en avant entre lui et les cinq autres publications. On constate très souvent dans ses colonnes qu’une information ‘‘mineure’’, est donnée la première fois dans la sous-rubrique ‘‘Dépêches’’ de ‘‘Société’’. Puis elle est développée dans un article utilisant un tiers de la page ‘‘Société’’. Il arrive que ces informations ne dépassent jamais la frontière de ‘‘Dépêches’’. Enfin, Le Monde et France-Soir donnent tous les deux le nom ‘‘Société’’ à la rubrique qui abrite les faits divers. Voilà un premier signe qui n’est pas dû au hasard. Pour l’ensemble des titres, on donne le tableau suivant:





    Les différences entre les quotidiens du nouveau groupe ‘‘intellectuel’’ (Le Monde,Le Figaro, l’Humanité) et ceux du nouveau groupe ‘‘populaire’’ sont faibles. La nuance entre eux peut se faire sur le critère de l’espace utilisé. France- Soir et Le Parisien publient chacun un article occupant respectivement un quart et un tiers de la page alors que Le Monde, Le Figaro mais aussi Libération ne donnent que quelques lignes en colonne (voir illustrations n°9, 11 et 12). Cependant Le Mondepublie le 14 mars un article occupant le dernier tiers de la page. La rédaction du journal a d’ailleurs jugé bon d’envoyer un journaliste enquêter à Reims. France- Soir et Le Parisien, les références en matière de faits divers, se sont contentés d’écrire un article depuis leur bureau. Etonnamment, c’est le quotidien le moins enclin à développer un fait divers qui a traité le plus l’information puisque la rédaction du Monde a été la seule à envoyer un journaliste. La mise en valeur de ce type d’information se traduit dans France-Soir par un titre parmi d’autres en première page et par un article assez court dans la rubrique ‘‘société’’. Au final, nous avons un traitement de cette information légèrement plus élaboré du côté de la presse intellectuelle malgré le choix de l’Humanité de l’ignorer. Cependant, ce dernier n’échappe pas à la règle comme nous allons l’observer dans l’affaire du hold-up de l’Airbus sur l’aéroport de Perpignan.

    Le mardi 13 août 1996 entre 18H20 et 18H23, des individus masqués dérobent quatre millions de francs en pesetas après avoir obligé le pilote à arrêter son avion en bout de piste à Perpignan (voir les illustrations n°14 à n°36 pages ). Les six quotidiens ont relaté les faits. Le Parisien, Le Figaro et Le Monde (voir respectivement les illustrations n°16 n°18 et n°19) accordent ni manchette, contrairement à France-Soir et à Libération (voir illustrations n°14 et n°15), ni titre en première page comme le fait l’Humanité (voir illustrations n°17). Voilà des manières de composer une première page qui fait apparaître d’autres signes de rapprochement entre les quotidiens ‘‘intellectuels’’ et ‘‘populaires’’. A propos du Parisien, un fait divers n’apparaît en manchette que lorsqu’il est traité en page deux et trois dans la rubrique ‘‘fait du jour’’. C’est assez rare mais cela est arrivé dans le cas de l’affaire Dutroux qui a commencé justement le 16 août 1996 par une brève dans ce même quotidien (voir illustration n°32). En revanche, les faits divers sont souvent présents dans les titres de la première page, à la manière del’Humanité ou de Libération.





    A partir du 15 août, mais dès le 14 août dans Le Monde daté du 15, Le Figaro etl’Humanité ont consacré au total huit titres ou brèves ou articles contre un total de dix-huit dans Libération, France-Soir et Le Parisien et cela à partir du 14 août. Le premier groupe cité donne à lire ce fait divers dans respectivement deux, trois et deux numéros alors que le second groupe le relate dans cinq, quatre et quatre numéros (voir tableau n°6). Libération accorde à cette information une place importante puisqu’il la traite sur cinq jours alors que ses deux confrères de groupe la suivent quatre jours. L’attitude de Libération à l’égard du fait divers a toujours été de ne pas l’ignorer, de le prendre comme un symptôme de dysfonctionnement politique ou social. C’est à ce titre qu’on a déjà dit qu’il était à la jonction des quotidiens ‘‘populaires’’ et ‘‘intellectuels’’, admettant l’information sensationnelle sans en faire une spécialité. Brigitte Vital- Durand, journaliste à Libération qu’on a interrogé à ce sujet, précise : ‘‘On a une petite spécialité en ce domaine mais notre notoriété n’est pas due aux faits divers.’’ Les quotidiens populaires semblent avoir développé deux fois plus cette information que les trois autres. Cependant Le Monde s’est intéressé à l’affaire le même jour que France-Soir, Libération et Le Parisien un jour plus tôt que Le Figaro et l’Humanité. A croire parfois que les journaux se recopient. Il est certain que Le Monde a jugé indispensable de publier une information parue quelques heures plus tôt dans le groupe de presse ‘‘populaire’’ du 14 août au matin. L’attitude mimétique de ce journal ‘‘sérieux’’ à l’égard des quotidiens dits ‘‘populaires’’ montre au minimum un intérêt indéniable de la rédaction pour les faits divers. Ce phénomène est aussi vrai pour Le Figaro et dans une moindre mesure pour l’Humanité.

    D’autre part, l’intérêt de ces trois titres ‘‘sérieux’’ est mesurable si on regarde le format, où la forme énonciative (brève, filet ou article) des ‘‘papiers’’ publiés et leur mise en page. Après avoir examiné précédemment le début de l’affaire, regardons le premier article consacré au ‘‘braquage minute’’ dans chacun des quotidiens.

    Dans Le Monde daté du 16 août, un correspondant du journal signe un article de quatre colonnes disposées sur le tiers au bas de la dernière page (illustration n°20). C’est la même personne qui avait signé la veille le filet - qui est une brève un peu plus développée - dans la rubrique ‘‘société’’ (voir illustration n°19). S'il est peu fréquent que ce quotidien ouvre les informations sur un fait divers, il le clôt souvent avec celui-ci. France-Soir fait exactement l’inverse mais le contenu de l’information est le même comme on le verra plus loin à propos de la définition du ‘‘noyau de l’information’’. Cela veut aussi dire que les différences de traitement du fait divers sont dues à la mise en page et donc artificielles.

    Si on réduisait les mises en page de France-Soir du Parisien et du Figaro aux seuls textes concernant l’affaire elle-même et sans ses illustrations dessinées, photographiques et textuelles, on trouverait des masses textuelles à peu près équivalentes d’un quotidien à un autre. A titre d’exemple, comparons les illustrations n°14bis (France-Soir daté du 14 août), n°16 (Le Parisien du 14 août), et n°18 (Le Figaro du 15 août). Ces trois publications illustrent l’attaque de l’Airbus par d’autres articles sur le même thème mais qui ne concerne pas le fait lui-même. Ils n’apportent pas non plus de précisions supplémentaires sur l’attaque de l’Airbus. Cet ajout d’informations datant d’années passées sur le thème de l’attaque d’avion est un procédé habituel dans les deux premières publications qui est destiné à amplifier une information et à convaincre le lecteur de la réelle importance de ce fait divers. Cette manipulation de la mise en page n’est pas surprenante de la part de ces quotidiens à tendance populaire. Mais on constate dans l’illustration n°18 que Le Figaro, réputé plus sérieux, procède de la même manière. Ce nouvel indice montre encore que la frontière établie entre les presses dites populaire et intellectuelle est en réalité extrêmement floue et incertaine.

    b) Illustrations : photographies et dessins.

    Le traitement des illustrations - photographies et dessins - dans les différents quotidiens est un autre procédé majeur dans la mise en valeur des informations. Il s’applique à toute l’information sans distinction de genre. Le fait divers n’échappe pas à cette pratique dont on peut dire même qu’il s’y prête naturellement. En effet, depuis l’avènement de la presse de masse au milieu du XIXème siècle, l’illustration accompagne le fait divers et en particulier le dessin. Les techniques photographiques n’étant pas encore au point, le dessin était le seul moyen de montrer en image les faits tragiques relatés dans le texte. Aujourd’hui, il est encore utilisé de deux manières différentes. La première ne concerne pas directement le fait divers puisqu’il s’agit de caricatures politiques ou de dessins illustrant le fait du jour : Plantu dans Le Monde et Jacques Faizant illustrent tous les jours la manchette par un dessin accompagné d’un petit texte souvent satirique. Puis il y a le dessin ou la photographie qui accompagnent le récit des faits divers. Le dessin a un avantage certain sur la photographie. Il permet de montrer les faits tels qu’ils se sont produits au moment même, sans décalage avec le moment du récit. Il permet également une amplification du sensationnel que la photographie ne rend pas à moins que la chance fasse qu’un chasseur d’image soit présent au moment des faits. Ce serait alors le scoop rare et très convoité. On sait a priori que les quotidiens ‘‘populaires’’ utilisent beaucoup les illustrations et on peut penser que les quotidiens ‘‘intellectuels’’ utilisent peu ou pas du tout ce moyen d’amplification. Et on peut également supposer que ces derniers en font une utilisation discrète. Quelques exemples extraits de l’attaque de l’Airbus et du meurtre de Nicolas à Marseille vont montrer que l’utilisation des illustrations dans ces deux groupes de quotidiens ne diffère pas tant que cela.

    Le Figaro, l’Humanité et Le Monde ne publient aucunes photographies ayant un rapport direct avec l’attaque de l’Airbus. Libération, Le Parisien et France-Soirpublient tous trois la même photo avec un cadrage plus ou moins large (voir illustrations n°14, 15bis, 31). Il s’agit de la photographie d’un avion dont on n'est pas sûr que ce soit celui qui à été attaqué. Le Parisien n’indique pas d’où elle provient, il ne cite pas sa source. Libération et France-Soir citent leurs sources mais elles sont étrangement différentes; pour le premier quotidien, elle aurait été prise par Michel Couppau, ‘‘indépendant de Perpignan’’, et pour le second elle proviendrait de l’A.F.P. Il semble certain que c’est bien une photographie de l’aéroport de Perpignan...L’intérêt de cette illustration est très limité car que peut-elle nous apprendre de plus sur l’attaque et la méthode utilisée par les hors-la-loi? Et même s’il s’agit bien de l’avion attaqué, alors le lecteur est content de constater qu’un Airbus est un gros avion civil. Et qu’il peut se faire attaquer comme n’importe quel fourgon blindé. Et que ce n’est pas banal.

    Le Parisien publie à côté de cette photo un croquis qui est censé expliquer comment s’est déroulée l’attaque de l’Airbus (voir illustration n°31). Maisl’Humanité et Le Figaro publient également un croquis du même type (voir illustrations n°17bis et n°18). Si son intérêt est didactique, il permet en même temps de mettre en scène l’attaque, de la recréer. Se déroule alors sous nos yeux ‘‘le film du braquage’’. Ici, le dessin permet ce que la photographie n’a pas pu faire : il montre une action en cours comme si nous y assistions. Pour camoufler cette technique d’amplification de l’événement, l’Humanité et Le Figaro prennent le faux prétexte de l’explication puisqu’ils répètent dans leurs croquis celle qu’ils ont donnée par écrit. De plus, leurs croquis ne sont pas très explicites ni convaincants. Alors, autant en faire trop comme il se doit dans la tradition du fait divers, comme dans France-Soir qui met l’accent sur le dessin exclusivement illustratif et qui réserve au texte les explications (voir illustration n°22). Il fait ce que fait Le Monde, un quotidien avare d’illustrations. Si ce dernier n’en publie aucune dans l’affaire de l’Airbus, il n’en va pas de même dans la tragédie de Marseille où le très jeune Nicolas s’est fait assassiner. Et pour être convaincu que, sur le thème de l’illustration, les différences de traitement du fait divers entre les quotidiens ‘‘sérieux’’ et ‘‘populaires’’ sont faibles, prenons l’exemple du Figaro et du Parisien.

    On récapitule dans le tableau suivant n°7 les illustrations contenues dans les deux quotidiens cités qui ont traité le fait divers de Marseille du 10 au 16 septembre 1996 (voir en particulier les illustrations n°37, 39, 40, 42, 43, 44, 46, 47 pour Le Parisien, et n°49, 52, 53, 54, 56, et 57).





    Les deux quotidiens consacrent six numéros à ce fait divers, comme d’ailleurs les quatre autres titres. Là encore il y a un phénomène de copiage des quotidiens entre eux. Ce mimétisme certain est peut-être dû à la hiérarchisation déjà opérée par l’A.F.P. qui sélectionne à la source les informations (voir la citation d’Henry Pigeat donnée page 53) et qui fournit les six quotidiens du corpus. Si la place accordée dans ces deux publications est la même, celle de l’illustration est également significative d’un traitement ‘‘populaire’’ dans Le Figaro du fait divers. La photographie de Nicolas en médaillon apparaît dans les deux quotidiens. Elle revient à trois reprises dans Le Parisien (voir illustrations n°39, 40 et 43). Cette récurrence et le format gros plan du médaillon lui confèrent le statut d’icône renforcé par la qualité esthétique du visage de la victime. Le Figaro n’est pas en reste dans l’amplification de l’émotion par l’image. Les photographies données dans le numéro du 11 septembre à la page 9 (voir illustration n°49 page et aussi n°60) sont particulièrement significative. En médaillon, on voit le visage de Nicolas. Cette image assez banale est insérée dans une seconde photographie qui nous montre un corps enrobé d’un linceul blanc qu’on nous présente comme étant celui de Nicolas. Le corps est allongé sur la chaussée et entouré par des policiers. L’une donnée sans l’autre, ces deux images seraient moins sensationnelles, voire anodines en ce qui concerne le médaillon. Mais rassembler par la mise en page deux concepts que la nature oppose, c’est-à-dire la jeunesse et la mort, rapproche cette illustration d’une figure de style qu’on trouve dans le discours : l’antithèse. Et par celle-ci on souligne l’absurdité et l’atrocité du crime gratuit, on assouvit le voyeurisme inhérent au lecteur de faits divers, et donc on confère à l’image une valeur discursive. Cette illustration est sensationnelle et originale aussi bien par sa mise en page délibérément ‘‘populaire’’ que par sa qualité d’image rhétorique. Ce caractère est aussi perceptible par la mise en page du texte.

    Dans cette page 9 du 11 septembre, le maquettiste présente deux articles du même auteur, José d’Arrigo, sur une demie page. L’article le plus petit est encadré. Il s’agit du témoignage d’un avocat, témoin du crime. Le titre de cet article reprend ce qui est donné comme étant les dernières paroles de la victime : ‘‘Aidez-moi, monsieur’’. Le même jour, France-Soir titre sa page 5 comme ceci : ‘‘Aidez-moi, je vous en supplie’’(voir illustration n°60). Lequel de ces deux quotidiens reproduit les paroles exactes de Nicolas puisque leur source est le même témoin du meurtre? Mais le plus surprenant, pour le moment, est de constater la ressemblance de ces deux titres dans la mise en page des illustrations qu’on trouve, le même jour, dans un quotidien dit ‘‘populaire’’ et un autre qualifiable ‘‘d’intellectuel’’. On voit là encore un signe de rapprochement des deux types de presse sur le mode du fait divers et de la mise en page sensationnelle des illustrations. Enfin, il y a Le Monde dont on sait qu’il ne met jamais de photographies dans ses pages. Cependant, à bien lire les textes, on s’aperçoit de phénomènes illustratifs cachés.

    La sobriété de ce quotidien à l’égard des illustrations est connue. Pas de photographies mais quelques dessins égaillent une mise en page réputée austère. Sur le thème du fait divers, le journal ne propose jamais d’illustrations. Le cas du meurtre de Nicolas n’échappe pas à la règle (voir illustrations n°66 à 78). Mais parfois Le Monde utilise un moyen détourné qui permet quand même à l’illustration de s’exprimer : il s’agit bien sûr de l’écriture et en particulier de la description. Des deux phrases, le lecteur se représente une image mentale assez nette : ‘‘Sur les lieux du meurtre, à l’angle de la rue Consolat et de la rue des Abeilles, l’émotion restait vive. Toute la journée de jeudi, peluches, bouquets de fleurs et messages de condoléances ont continué à s’accumuler’’. Maintenant comparons cette évocation du lieu du meurtre avec la photo publiée dans Le Parisien du 13 septembre (voir illustration n°44), qui est par ailleurs la même que celle publiée ce même jour dans Le Figaro (voir illustration n°53). A la lecture du texte on a imaginé au minimum un entassement, une montagne de fleurs. Deux énoncés supposent cet entassement : ‘‘toute la journée’’, expression à valeur itérative, et ‘‘accumuler’’, conséquence de cette valeur. Or, le thème de la photographie est cet entassement de fleurs qui est au premier plan. Dans les deux cas, il s’agit pour les rédactions de montrer l’intensité de l’émotion provoquée dans la population par cet assassinat : ‘‘l’émotion restait vive’’ est traduit dans l’image par le second plan de la photographie qui montrent des inconnus se recueillant accoudés aux barrières. Un deuxième exemple extrait d’un article du monde daté du 17 septembre (voir illustration n°78) est encore significatif d’un traitement de l’image par l’écriture. L’article sur les obsèques de Nicolas débute ainsi : ‘‘Ils ne bougent pas, ne parlent pas, respirent à peine. Amassés les uns aux autres, collés derrière les barrières, ils fixent du regard(...). Le pronom personnel pluriel n’est pas, à cet endroit de l’article, déterminé. On ne sait pas qui ‘‘ils’’ représentent. Grâce au verbe ‘‘parler’’ on se doute que ce sont des êtres humains et non des bovins ‘‘derrière des barrières’’ de foire... Confirmation de cette réalité un peu plus loin dans le texte : des ‘‘Marseillais’’ oui, mais ‘‘des femmes, des enfants, des hommes pleurent en silence’’. Le texte du Monde est plus emphatique que la photographie de la foule publiée le 16 septembre dans Le Figaro (voir illustration n°57) dont le texte est d’ailleurs plus sobre dans la description de la foule. Finalement, Le Monde fait preuve d’un sensationnalisme textuel plus marquant que son équivalent photographique. La photographie pose un cas de conscience au Monde car elle reste malgré tout subjective. Et cela ne sied pas dans une rédaction qui a fait le difficile pari de l’objectivité. Alors autant passer par la forme discrète de la description et non moins évocatrice de sensationnalisme. Mais ce quotidien doit rester fidèle à son caractère intellectuel qui passe par l’écriture. Cependant, traiter un fait divers de manière purement objective obligerait la rédaction du journal à le publier sous forme de brève, ce qu’elle fait souvent dans ses rubriques ‘‘Kiosque ‘’et ‘‘Dépêches’’. Et peut-être que le fait divers n’est pas qu’une simple petite histoire qui se prêterait alors à des formes de mises en scène, ou de mises en page, politique, ou rhétorique, plus élaborées.

    2. Confrontations des mises en page.

    a) Les statistiques et la mise en page.


    Le récapitulatif chiffré du critère quantitatif, établi à partir du nombre d’articles publiés dans les six quotidiens concernant le meurtre de Nicolas Burgat, va montrer le mimétisme des quotidiens entre eux. La présence de titres en première page ou de manchettes et le nombre d’articles publiés dans chaque quotidien sont les deux signes élémentaires qui prouvent l’importance qu’ils accordent au fait divers. Les illustrations en annexe représentent tous les articles qui ont été publiés sur cette affaire au moment des faits. Ils y sont répertoriés comme suit:

    Le Parisien : illustrations numéro 37 à 47. Soit six numéros datés du 10 au 16 septembre.
    • Le Figaro : illustrations numéro 48 à 57. Soit six numéros datés du 10 au 16 septembre.
    France-Soir : illustrations numéro 58 à 65. Soit six numéros datés du 10 au 16 septembre.
    Le Monde : illustrations numéro 66 à 78. Soit six numéros datés du 11 au 17 septembre. Les numéros du jour sont datés au lendemain.
    L’Humanité : illustrations numéro 79 à 85. Soit six numéros datés du 10 au 16 septembre.
    Libération : illustrations numéro 86 à 95. Soit cinq numéros datés du 10 au 16 septembre. Le 11 septembre, il ne publie rien à propos du meurtre de Marseille.

    Les six quotidiens se suivent pas à pas comme par peur de ne pas être à la mode. Ce phénomène le plus voyant du mimétisme inter-rédactionnel provoque la confusion chez qui veut lire les six quotidiens publiés le même jour. La mémoire du lecteur se trouve empêtré dans ce qu’on pourrait appeler le jeu du ‘‘qui est qui’’ : qui à dit ceci ou cela? Le moyen adopté par les rédactions pour se distinguer les uns des autres est la mise en page. Et on a vu que l’utilisation des illustrations dans la mise en page échoue dans cette tentative de distinction puisque les quotidiens publient les mêmes photographies. Dès lors, le lecteur, rare, qui se permet de parcourir trois ou quatre quotidiens par jour, doit consulter les titres et les manchettes pour arriver à distinguer le ‘‘qui du qui dit quoi’’. Quoique parfois ce nouveau jeu de piste l’amène tout droit vers des interrogations nouvelles : sommes-nous encore dans un fait divers, ou bien est-ce un événement politique traité sur le mode du fait divers? Et donc, le fait divers est-il devenu le porteur idéologique parfait puisqu’il permet d’amplifier le discours rationnel, intellectuel, par sa nature créatrice d’émotions? La légitimité du fait divers dans la presse dite ‘‘intellectuelle’’ serait alors acquise.

    France-Soir accorde le 10 septembre une manchette sur l’assassinat de Nicolas (voir illustrations n°58) et Le Monde fait de même le 13 septembre (voir illustration n°68). La tentative de récupération de ce fait divers par un parti d’extrême droite connu a donné lieu dans ces deux journaux à deux autres manchettes : le 13 septembre dans France-Soir et le 14 septembre dans Le Monde (voir illustrations n°62 et n°71). A ce sujet, Libération profite de ce fait divers pour faire sa manchette sur le Front National (voir illustration n°87). De plus il n’accorde qu’un seul titre en première page (voir illustration n°90), comme L’Humanité (voir illustrations n°84), quand Le Parisien en publie cinq du 10 au 14-15 septembre (voir illustrations n°37, 39, 41, 43, et 45). Le Figaro se contente de deux titres en première page (voir illustrations n°52 et 54) soulignés par une photographie et un dessin de Jacques Faizant. Ces illustrations renforcent ainsi la valeur des deux titres de même que celle de l’information, une méthode qu’adopte aussi France-Soir le 13 septembre (voir illustration n°62). Qui se dit populaire et qui se prétend intellectuel?

    Toujours à ce sujet, comparons la ‘‘une’’ de France-Soir du vendredi 13 septembre à celle du Monde de ce même jour mais daté du 14 septembre (voir illustrations n°62 et n°71). Leur composition est la même du point de vue de la hiérarchisation de l’information. Le premier titre qui fait leur manchette concerne les réactions du garde des sceaux d’alors, Jacques Toubon. Puis dans les deuxième et troisième sous-titres, Le Monde revient sur le fait divers lui-même : ‘‘A Marseille, le préfet de région autorise la manifestation organisée samedi par le F.N’’. Il correspond dansFrance-Soir à la photographie et à sa légende : ‘‘(...) le F.N. prépare pour demain sa manifestation(...)’’. La construction de la manchette du Monde est logique puisqu’elle met l’accent sur l’aspect politique de l’affaire. Mais on aurait pu attendre de France-Soir une première page moins politique, une page qui ressemblerait plus à celle du Figaro daté du 13 septembre (voir illustration n°52) qui place en haut à droite de celle-ci une imposante photo publiée aussi ce même jour en bas de page dans ... France-Soir (cf. illustration n°62). Comme Le Monde est publié après les cinq autres quotidiens du matin, on peut se demander alors s’il n’aurait pas copié la mise en page de ‘‘France-Soir’’. Comme ce n’est probablement pas le cas et que là n’est pas le sujet, on peut simplement constater, dans la mise en page d’un fait divers, les ressemblances surprenantes entre deux conceptions de l’information et deux lignes rédactionnelles qui s’opposent. Pour preuves supplémentaires Le Parisien, qui est de la même veine que France-Soir, donne cinq titres en première page, mais ne réalise aucune manchette tout du long du meurtre de Marseille.

    Enfin, si on compte le nombre d’articles que consacrent les quotidiens à ce fait divers, qui n’en est peut-être plus un, on constate que le palmarès de la prolixité revient au Monde avec un total d’une brève et de douze articles. Suivent Le Parisien et Le Figaro à égalité avec six articles, puis France-Soir ex-aequo avecL’Humanité qui publient cinq articles et, enfin, Libération avec une brève et quatre articles. Difficile dans ces conditions de pouvoir encore affirmer qui est ‘‘intellectuel’’ et qui est ‘‘populaire’’ dans la présentation de l’information.

    b) Portraits robot des mises en page.


    A partir des éléments dégagés dans le premier chapitre sur les lieux ou rubriques habituelles du fait divers et de ceux concernant sa mise en page dans les rubriques, on peut établir, à partir des deux affaires respectives de Perpignan et Marseille (donc à partir des illustrations n°14 à 95), un portait robot du traitement habituel du fait divers dans les groupes de presse dits ‘‘intellectuel’’ ou ‘‘populaire’’. L’objectif est de montrer leurs ressemblances à partir d’un thème, le fait divers, pris comme facteur les discriminant. Et tant du point de vue de la macrostructure que de celui de la microstructure de la mise en page, les différences a priori admises entre ces deux groupes s’estompent pour peut-être disparaître complètement.

    On va présenter dans un premier temps une synthèse de tous les éléments composant la maquette de la mise en page des faits divers, et cela pour chaque quotidien. Puis on va diviser les six synthèses obtenues en deux groupes. Le premier est composé des maquettes du Monde, du Figaro et de L’Humanité : il représente le nouveau groupe ‘‘intellectuel’’ défini dans le chapitre I. Le deuxième groupe appelé ‘‘populaire’’, établi dans ce même chapitre, est composé des maquettes de Libération, du Parisien et de France-Soir. Enfin, à partir de ces premiers portraits robots des mises en page, on va établir un autre portrait de celles-ci en les synthétisant à leur tour. On obtient ainsi la maquette générale du fait divers des quotidiens à caractère populaire, et celle des quotidiens dits intellectuels.

    DOCUMENT 1 : Mise en page du fait divers dans les quotidiens intellectuels.
    DOCUMENT 2 : Mise en page du fait divers dans les quotidiens populaires.
    DOCUMENT 3 : Synthèse des mises en page du fait divers dans les quotidiens intellectuels. Maquette générique.
    DOCUMENT 4 : Synthèse des mises en page du fait divers dans les quotidiens populaires. Maquette générique.

    La synthèse réalisée dans les documents n°1, 2, 3, et 4 montre les différents lieux qu’occupent les fait divers dans les six quotidiens. L’impression d’ensemble à la vue de ces quatre documents est celle d’une grande variété des mises en page de la rubrique des faits divers. On s’aperçoit également que cette variété ne permet pas de distinguer les quotidiens ‘‘intellectuels’’ des quotidiens ‘‘populaires’’. Au contraire, on constate que les mise en page de chacun des deux groupes de publications sont assez jumelles. La fusion de celles-ci produit la confusion entre ces deux groupes.

    Les documents 1 et 2 confirment ce qui a été dit dans le premier chapitre sur la concentration des faits divers dans les rubriques de la première partie des trois quotidiens populaires, et l’éparpillement de ceux-ci dans les rubriques des deux parties des trois quotidiens intellectuels. Ainsi, Le Parisien est le quotidien qui concentre le plus les faits divers. En effet, on peut tous les trouver aux environs de la page 15 dans la rubrique ‘‘Les Faits Divers’’. A contrario, Le Monde est celui qui éparpille le plus les faits divers: on les trouve régulièrement aux pages 10, 30, et à la dernière page. Entre ces deux quotidiens, on peut les lire dans Le Figaro etL’Humanité exactement aux mêmes endroits, c’est-à-dire près de la page 10 et à la dernière page. C’est en grande partie pour cela qu’on a classé L’Humanité dans le groupe des quotidiens intellectuels. Enfin, France-Soir et Libération publient rarement des faits divers au-delà de la page 10. Cette répartition des faits divers dans leurs rubriques respectives confirme l’existence d’une opposition qui permet de classer les quotidiens en deux groupes. Cependant, le rôle de la première page et des illustrations du fait divers va nuancer cette hiérarchie des quotidiens.

    En effet, les documents n°3 et n°4 montrent à leur tour les fortes ressemblances qui existent entre les six quotidiens. La première page des quotidiens populaires propose autant d’illustrations que de texte. Celle des quotidiens intellectuels fait l’inverse ce qui prouve le grand intérêt qu’elle porte au fait divers, intérêt parfois plus grand que celui de la presse populaire. De plus, elle ne néglige pas les illustrations qui y reviennent fréquemment. Une autre différence négligeable consiste dans la presse ‘‘intellectuelle’’ à ne pas placer ses titres en colonne à gauche de la page contrairement aux publications de la presse ‘‘populaire’’. La forme des faits divers au sein des rubriques des six quotidiens est, quant à elle, identique. On y trouve des articles en grande quantité, des brèves et des illustrations en un peu plus grand nombre dans la presse ‘‘populaire’’ que dans la presse intellectuelle. Tout porte à dire que la seule opposition qui existe dans les différentes mises en pages des faits divers réside dans sa concentration dans la première partie des quotidiens populaires et son éparpillement dans les publications ‘‘intellectuelles’’.

    Ce critère de la répartition du fait divers dans les pages des six quotidiens envisagés nous a permit de montrer le rôle important de la mise en page comme facteur d’amplification de ce genre d’information. En effet, concentrer ou éparpiller le fait divers dans les pages d’un journal prouve l’intérêt que lui porte ou non une rédaction. Mais on a également remarqué à ce propos que si on concentrait artificiellement les faits divers publiés dans la presse intellectuelle, on a découvert que quantitativement, ils étaient aussi nombreux que ceux publiés dans la presse populaire. Par conséquent, on a montré le rôle majeur de la mise en page dont on a dit, grâce à l’examen de trois faits divers choisis comme exemple, qu’il s’en dégageait une rhétorique propre. Celle-ci, fondée sur les critères des illustrations et sur la place qu’elles occupent, ainsi que de celle des articles et de leur développement, découvre un langage sensationnel dans des quotidiens qui se défendent de cela, à savoir L’Humanité, Le Monde et Le Figaro. La confusion des genres est alors créée par cette mise en page comparable aux figures de styles liées à l’amplification. Les maquettes génériques des mises en pages (revoir les documents n° 3 et 4) mettent en évidence les fortes ressemblances entre les deux groupes de quotidiens. Alors peut-on encore opposer deux types de presse tant le mimétisme constaté ici est développé.

    Pour confirmer cette attitude de mimétisme, on va devoir observer dans les quotidiens intellectuels les phénomènes énonciatifs qui construisent le sensationnalisme. On comparera en particulier les rubriques ‘‘En Vue’’ du Monde, et ‘‘C’est Pourtant Vrai’’ de France-Soir. Puis, on inversera la perspective et on montrera les phénomènes intellectuels ou idéologiques qui sont perceptibles dans les quotidiens populaires. Enfin, on verra, en prenant l’exemple du meurtre de Nicolas à Marseille, que le fait divers à portée politique n’est plus une information neutre, et qu’il acquiert une légitimité par rapport aux autres informations. Et de ce fait, la collusion du fait divers et de l’information politique constitue un langage nouveau, une information qui allie l’intellect et la sensibilité du lecteur afin de mieux retenir son attention et donc de lui faire assimiler innocemment l’idéologie du journal.

    a) La brève : ‘‘noyau’’ de l’information.

    Alfred Edwards, qui fut rédacteur au Figaro entre 1876 et 1886, est considéré comme ‘‘l’inventeur du grand reportage et du fait divers bref et sensationnel’’. Il correspond aujourd’hui aux brèves sur ce thème qu’on rencontre en colonne à droite ou à gauche de la page. Mais ces fait divers en bref sont souvent assez peu insolites. La thématique récurrente de ceux-ci est d’un tragique dont le lecteur assidu se lasse : découvertes de cadavres, incendie en tout genre, accidents de la route, de montagne (marronnier incontournable pendant les mois d’hiver et d’été), noyades de l’été (autre marronnier ‘‘fleuri’’, si on peut oser s’exprimer ainsi), glissades mortelles sur les feuilles humides d’automne, ou sur les pauvres crapauds et grenouilles du printemps, etc. Bref, rien de bien original et de surprenant pour un lecteur blasé. Heureusement il y a les rubriques ‘‘C’est Pourtant Vrai’’ de France-Soir et sa soeur jumelle ‘‘En Vue’’ du Monde sur lesquelles on reviendra plus loin.

    Il y a dans la presse écrite trois formes bien connues d’écritures : l’article, qui répond aux cinq fameuses questions ‘‘qui’’ ou ‘‘quoi’’, ‘‘où’’, ‘‘quand’’, ‘‘comment’’, ‘‘pourquoi’’. C’est la forme la plus élaborée de l’information. Il y a également le ‘‘filet’’, composé d’un maximum de mille cinq cents signes, ou lettres, qui donne les quatre éléments fondamentaux de l’information plus un élément du ‘‘comment’’ et parfois du ‘‘pourquoi’’. Enfin, il y a la ‘‘brève’’ qui constitue le ‘‘noyau dur’’ de l’information qui sera ou non développé en article. Beaucoup de faits divers retentissants ont d’abord été des brèves publiées dans un coin de page (voir illustrations n°66, 79, et 86 sur Nicolas). C’est aussi sous cette forme que le fait divers s’exprime le mieux car bien souvent le pourquoi du comment dans ce genre d’information est difficile voire impossible à comprendre. Quelles explications peut-on donner au meurtre gratuit de Nicolas à Marseille? Quelles raisons sérieuses peut-on avancer pour expliquer le suicide collectif des deux adolescentes de Reims? Certainement pas celles de leurs mauvaises notes au baccalauréat blanc comme le déclame France-Soir : ‘‘Elles sautent du 16é pour un examen raté’’ (voir illustration n°7). De plus, le ‘‘pourquoi’’, c’est-à-dire les raisons du fait divers relaté, est souvent implicite. N’importe qui comprend qu’on puisse vouloir voler de l’argent même en attaquant un avion de ligne. Dans l’affaire de l’Airbus de Perpignan, le pourquoi est implicite, il n’est pas nécessaire de dire que cette attaque avait pour objet de voler de l’argent. La brève ou le filet aurait pu suffire du moins dans les quotidiens intellectuels. Mais le sensationnel lui aussi implicite dans la brève, dont les quatre éléments composent aussi les titres, s’est développé sur le ‘‘comment’’, sur la manière dont s’est déroulé le hold-up. Mais dans le domaine du fait divers, on peut rester bref, donc imprécis, sans que la qualité de l’information en pâtisse. Le fait divers est un peu l’art de l’écriture implicite, tragique et absurde car la logique y est souvent inversée.

    Félix Fénéon nous en donne quelques exemples dans Nouvelles en trois lignes : ‘‘Fuyant Poissy et des familles sévères à leurs amours, Maurice L... et Gabrielle R...., s’y tuèrent’’. Est-ce là un résumé de Roméo et Juliette ou bien un simple accident ayant provoqué la mort des jeunes amants? On ne le saura jamais tout comme les raisons du suicide des deux jeunes filles. Dans le registre de l’écriture brève, il arrive parfois que des quotidiens nous surprennent. Ainsi en va-t-il dans Le Parisien daté du 24-25 août 1996 (voir illustration n°5). En page 14 on peut lire une brève intitulée ‘‘Armes’’ digne d’une mise en scène de roman policier. Il y a le personnage principal : ‘‘un garçonnet de 4 ans’’ qui est recherché par la police anglaise. Est-ce un enfant qui a été enlevé, ou qui a fugué? A-t-il commis une bêtise? Après avoir donné les deux éléments du ‘‘qui’’, police et enfant, qui annoncent déjà une tragédie par leur caractère inhabituel, antithétiques, le rédacteur poursuit son récit par le rappel d’événements tragiques. Le lien avec l’enfant et le massacre qui a coûté la vie à seize autres enfants est encore mystérieux. C’est le deuxième effet d’attente et le deuxième élément antithétique : la mort et la jeunesse. Nous avons à ce moment les éléments qui construisent le sensationnel : la police, un enfant recherché, des enfants assassinés et ‘‘l’amnistie à toute personne qui viendrait déposer dans les commissariats des armes détenues illégalement’’. L’enfant recherché aurait donc un lien direct ou indirect avec la fusillade sinon pourquoi la police le rechercherait-elle? Au minimum était-il en possession d’armes qu’un enfant ne possède pas normalement. Ce troisième élément antithétique construit le sensationnel qui éclate quand on apprend que ‘‘le jeune garçon a rendu deux mitrailleuses, quatorze pistolets, un fusil, une grenade’’. Et puis un coup de théâtre qui, en faisant voler en éclat les quatre éléments antithétiques que sont les mises en relation successives de l’enfant avec la police, la mort, l’amnistie et les armes à feu, rétabli la logique et nous rassérène et nous fait sourire : les armes rapportées par l’enfant étaient des jouets. Ici, c’est la collusion du monde des adultes et de celui des enfants, habituellement séparé, qui créée le sensationnalisme. L’enfant se trouve mêlé via une écriture utilisant l’antithèse à des affaires d’adultes. C’est sur ces décalages et l’inversion par rapport à la logique admise par tous que se construit très souvent l’écriture sensationnelle des faits divers. France-Soir utilise ces techniques auxquelles n’échappe pas Le Monde.

    1. Les signes du sensationnalisme.

    b) L’antithèse comme figure du sensationnel.

    Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à regarder les rubriques ‘‘C’est Pourtant Vrai’’ deFrance-Soir et ‘‘En Vue’’ du Monde. La première est habituellement lisible vers la page 5 sous la rubrique ‘‘Société’’, et la seconde fait partie de la rubrique ‘‘Kiosque’’ située vers la fin du journal, aux environs de la page 30. Bien que géographiquement situées à l’opposé l’une de l’autre, on peut dire qu’elles sont jumelles. A titre d’exemple, observons les illustrations n°1 et n°2.
    Le 10 mai 1997, on trouve sous la rubrique ‘‘C’est Pourtant Vrai’’ deux informations reprises par Le Monde daté du 13 mai de la même année. La première est l’histoire d’une femme mannequin réputée qui a décidé d’abandonner son métier pour rentrer dans un couvent. Si France-Soir met en valeur cette information en illustrant le texte par une photographie du top model applaudissant le pape, Le Monde a recours à l’artifice textuel pour donner le caractère insolite à cette information. C’est encore la figure de l’antithèse qui y est utilisée : ‘‘Les participants aux Assises du congrès européen des vocations ont eu l’occasion de voir, au Vatican, vendredi 9 mai, un défilé de mode sur écran géant’’. La force du sensationnalisme dans cette phrase est d’autant plus marquante que la photographie publiée par France-Soir montre une femme à l’accoutrement très sobre et qui serait passée inaperçue si le quotidien n’avait pas précisé dans son texte qu’elle était une ancienne mannequin de haute couture. Le texte est souvent plus illustratif que la photographie. La raison de la conversion de cette jeune femme est donnée dans Le Monde au style direct par la voix d’un ami styliste et dans France-Soir par la concernée elle-même. Mais cette raison importe peu au regard de la personnalité de cette femme qui bascule d’un monde superficiel et matériel à celui de l’âme et de la religion. Là encore le télescopage de deux idées antithétiques du monde, de celui de deux mondes, créé la sensation, l’insolite.

    La deuxième information construite sur le modèle de l’antithèse est celle de ‘‘la jeune fille qui descend du singe’’ (voir illustration n°1 et n°2). Le verbe ‘‘descend’’ laisse supposer ici un lien direct et étroit entre la jeune fille et l’animal. Lien qu’il entretien avec l’espèce humaine depuis les théories de Darwin sur l’évolution. Le titre opère un détournement de ces fameuses théories qui ont montré que ‘‘l’homme descendait du singe’’. Ce détournement laisse penser qu’il y aurait un lien très intime entre ‘‘la jeune fille’’ et le ‘‘singe’’. La valeur référentielle de l’article défini ‘‘la’’ montre qu’il s’agit d’une jeune fille en particulier alors que l’article défini ‘‘du’’ est en emploi non référentiel car il fait partie de la locution verbale ‘‘descendre de’’. Donc, il s’agit d’une relation entre un être humain, mais pas tous les êtres humains, et un concept animal. Cette relation relève de l’antithèse et du monstrueux, thème récurrent dans le fait divers. Dans sa brève, Le Monde en reste à cette ‘‘monstruosité’’ car, après avoir été dans le registre de l’explication rationnelle de phénomènes génétiques inconnus, il clôt son article sur un coup de théâtre : « ‘‘Ce gène [découvert chez la jeune fille] est identique à celui des gorilles’’, a précisé le docteur Carlos ». A l’inverse, France-Soir ne construit pas le sensationnalisme de cette information sur le coup de théâtre, sur l’inattendu. Après avoir annoncé en titre le ‘‘monstrueux’’ et l’avoir développé dans le texte en tentant de l’expliquer scientifiquement, le quotidien relance l’article sur un thème qui n’a plus rien de monstrueux et de sensationnel. Il rouvre le débat sur l’interdiction de la vivisection sur les singes en particulier et les animaux en général. Et comme l’illustration n°0 laisse penser que ce quotidien n’est pas insensible à la vie du monde animal, on peut déceler dans le dernier paragraphe de l’article sur la jeune fille et son étrange gène une idéologie naturaliste, une volonté de France-Soir de défendre Le Monde animal contre les méfaits de l’humanité... En conclusion, ce quotidien ajoute une valeur morale à ce fait divers alors que Le Monde se contente de n’exploiter que la part du ‘‘monstrueux’’. Certes, France-Soir le met également en scène par un titre ‘‘accrocheur’’, mais il s’écarte du sensationnalisme en finissant sa prose sur un thème de société qui, quoi qu’on en pense, remet en question les méthodes d’expérimentation scientifique.

    On vient de montrer que la figure de l’antithèse est propre à l’écriture des faits divers. Cette figure permet de mettre en valeur l’information en mettant en relation des mondes qui habituellement ne se rencontrent jamais. Lorsque cela arrive, ce qui était naturel dans chacun d’eux, devient au minimum insolite et bien souvent monstrueux. On a également montré que la presse dite intellectuelle (en particulierLe Monde dans sa rubrique ‘‘En Vue’’) utilisait cette figure pour construire le sensationnel du fait divers, tout comme le font les quotidiens à caractère populaire. Enfin, on a remarqué des traces de discours argumentatif, donc qui ne relèvent plus de la narration neutre, dans un fait divers. Il ne serait pas surprenant d’en trouver d’autres dans les six quotidiens choisis pour l’étude. Les faits divers portent eux aussi les stigmates des idéologies.

    2. Les signes idéologiques.

    a) Le fait divers récupéré.


    L’Humanité était, jusqu’au 15 mars 1999, l’organe de presse officiel du parti communiste français. Tous les journalistes devaient avoir leur carte du parti. Il n’est donc pas étonnant de trouver des articles très orientés, dont la tonalité militante est souvent perceptible. Ce quotidien veut défendre les gens de condition sociale modeste. C’est en cela qu’on peut dire qu’il est plus populiste que populaire. C’est encore pour cette raison qu’on peut y lire des faits divers qu’on ne rencontre dans aucun autre quotidien. Ainsi en-est-il de cette famille qui est sans logement depuis l’incendie de leur ‘‘maison’’ construite par le chef de famille avec des moyens très modestes (voir illustration n°6). L’article fait une page entière. Il est donné sous la rubrique ‘‘France’’ à la page trois, ce qui atteste de l’importance accordée par la rédaction à ce fait divers. On va extraire du texte, toutes les parties du récit qui sont l’expression d’une idéologie.

    Profitant de la visite de ministres à Cormeilles-en-Vexin, L’Humanité dresse le portrait de la famille privée de domicile. Le père est ‘‘déménageur’’, ce ‘‘travail difficile’’ lui a ‘‘mit le dos en piteux état’’. Les ‘‘patrons ne veulent plus [de lui]’’.En plus, son ‘‘handicap d’origine professionnel n’a jamais été reconnu’’. A ce moment de l’article, on ne peut que s’apitoyer sur le sort du pauvre homme. Mais des signes idéologiques évidents apparaissent déjà dans cette description de Bernard Bacquet. Le substantif ‘‘patrons’’ désigne comme on le sait ‘‘l’ennemi’’. Il n’est pas écrit ‘‘Bernard est au chômage’’, mais ‘‘les patrons n’en veulent plus’’. Cette expression idéologique est donnée au milieu de la description dramatisée d’une situation professionnelle difficile. Comme le lecteur ne peut être qu’ému par la situation de la famille en détresse, l’auteur profite de cette attention émotive pour exprimer son dégoût des chefs d’entreprise. Donc, le lecteur sensibilisé accepte plus aisément l’opinion du journaliste, son doigt accusateur. En bon ‘‘procureur’’ de tribunal populaire, ce journaliste amplifie encore l’émotion en développant l’historique des déboires de Bernard Bacquet. Déjà ‘‘expulsé’’ une première fois, non relogé, il décide de construire de ses mains une maison. Poursuivit par le sort, un adolescent met le feu volontairement à cette maison. Depuis plus d’un mois, lui et sa famille vivent dans des conditions extrêmes. Une description des lieux s’en suit : une ‘‘toute petite caravane’’ abrite les parents et ‘‘le bébé de dix-sept mois’’, une ‘‘mini tente’’ acceuille les deux enfants ‘‘âgés de douze et dix ans’’. Alors, face à cette détresse mise en scène à la façon d’un fait divers, une ‘‘militante communiste se bat aux côtés d’autres personnes de coeur’’ pour faire cesser cette ‘‘situation insupportable’’. Il est vrai qu’aucun des cinq autres quotidiens n’ont relaté la situation difficile de cette famille. Mais L’Humanité en vient à présenter les communistes, donc à se présenter, comme les ‘‘sauveurs’’ des causes oubliées. En effet, si une militante communiste ‘‘se bat aux côtés d’autres personnes de coeur’’, chose irréprochable au demeurant, alors ce sont tous les communistes qui, à travers elle, sont des personnes de coeur. Alors, qui sont les ‘‘sans coeur’’? le quotidien les a retrouvé : ‘‘L’incendie du baraquement appelait un relogement d’urgence. (...) Jean Pichery, le maire U.D.F.,(...)n’a même pas daigné venir à la rencontre de ses administrés après le sinistre’’. Si le maire avait été communiste, serait-il venu? ‘‘Mais bien sûr!...’’ Ce qui importe ici, c’est la manière de rendre particulièrement émouvante une information pour faire passer une idée. En ce sens, le fait divers est un très bon porteur d’idéologies. En effet, nous avons montré dans le chapitre premier que le fait divers faisait vibrer la corde sensible du lecteur. Quand il est pris par l’émotion, l’intellect du lecteur devient moins attentif au récit des faits et il peut se laisser berner. C’est un procédé bien connu de la rhétorique, que savent utiliser les derniers orateurs que sont les avocats. Ainsi, cette écriture mélangeant le sensible et l’intellectuel, donc le fait divers et le fait politique, est une pratique courante dans la presse comme va le confirmer l’étude de l’affaire du meurtre de Nicolas.

    b) Le fait divers en politique.

    Le lundi 9 septembre 1996, un adolescent, Nicolas Burgat a été mortellement poignardé à Marseille, par un garçon de son âge. On va présenter le début de l’affaire traitée dans un quotidien réputé intellectuel et dans un quotidien ‘‘populaire’’. Le lendemain, ce fait est rapporté dans Le Monde de manière fort logique, c’est-à-dire sous la forme d’une brève classée dans la sous-rubrique ‘‘dépêches’’ de ‘‘Société’’ (voir illustration n°66). Ces quatre lignes vont prendre une ampleur rare. On va voir comment. Le Parisien, quant à lui, annonce l’information par un titre en première page et un article dans la rubrique ‘‘fait divers’’ qui développe les circonstances de l’agression (voir illustration n°37 et 38). Jusque là, l’information appartient au genre du fait divers. Dès le 11 septembre (Le Monde daté du 12) on voit poindre les prémices d’une politisation de ce fait divers; l’avant dernier paragraphe de l’article de Luc Leroux rapporte la décision du F.N. de manifester le jour des obsèques de Nicolas(voir illustration n°67). Ce même jour, Le Parisien ne mentionne pas cette manifestation du F.N.. Il rapporte les réactions du père et des amis de la victime, et fait un point sur l’enquête de police (voir illustration n°40). Le quotidien tient son rôle. Le lendemain, Le Mondepublie en première page un article sur cette affaire (voir illustration n°68). Il titre : ‘‘Le drame est exploité par le F.N.’’ alors que Le Parisien titre ‘‘Le complice de l’assassin arrêté’’ (voir illustrations n°41 et 42). Tout au long de l’affaire, ce quotidien est resté discret sur la tentative de récupération de ce fait divers par le F.N. Dans les numéros publiés du 10 au 14-15 septembre, l’affaire est relatée dans la rubrique ‘‘Faits Divers’’. Ses connotations politiques, créées dans un premier temps par le F.N., sont discrètes : les informations données par ce quotidien concernant l’enquête sont séparées de celles concernant la récupération politique. Le quotidien ne mélange pas information politique et faits divers. les articles concernant l’un ou l’autre sont séparés par la mise en page : le meurtre de Nicolas est donné sous la rubrique ‘‘Faits Divers’’ et les réactions politiques sont données dans ‘‘Politique’’. Ce n’est que le 16 septembre, avec le compte rendu des obsèques de Nicolas, que le fait divers s’est glissé dans la rubrique ‘‘Politique’’ (voir illustration n°47). Ce quotidien a su ne pas mélanger les genres et n’a pas récupéré ce fait divers à des fins politiques, ce qui ne veut pas dire qu’il n’ait pas parler de la récupération politique.

    Le traitement de cette affaire par Le Monde a été bien différent. Rappelons que ce quotidien a publié deux fois plus d’articles sur cette affaire que Le Parisien (douze articles contre six). Dès le numéro du 12 septembre (voir illustration n°67, avant dernier paragraphe : ‘‘Deux manifestations devaient se dérouler (...) exigeant plus de sécurité pour les enfants’’) le quotidien publie la réaction du F.N. Mais l’article ne parle pas encore de récupération politique. Attitude peu fréquente dans Le Monde, un fait divers apparaît en première page (voir illustration n°68). Mais est-ce encore un fait divers puisque celui-ci est agrémenté d’informations à caractère politique. La connotation politique de cette affaire justifie pour Le Monde son traitement développé. Libération fait de même ici dès que le F.N est mêlé à une affaire ‘‘politico-pénal’’.

    A/ Le nouveau feuilleton.

     1. Le fait divers en épisodes.

    b) Les genres du feuilleton informatif.

    Le Parisien a résisté à la politisation de ce fait divers en s’attachant à séparer des informations qui y sont liées. Cependant, ce pari n’a tenu que jusqu’au 16 septembre (voir illustration n°47). A cette date, le compte rendu des obsèques de Nicolas est donné dans un article publié dans la rubrique ‘‘Politique’’. L’information a donc glissé malgré tout dans une rubrique qui n’est naturellement pas la sienne. Ce quotidien met alors en valeur l’aspect politique de ce fait divers au dernier jour du traitement journalistique. Il finit par avoir la même attitude dans sa mise en page que Le Monde. Il sonne ainsi la fin du fait divers et la naissance de l’information politique qui est plus ‘‘noble’’ que le premier.

    Ce phénomène de glissement d’une rubrique à une autre montre qu’une organisation rigoureuse de l’information est difficile à respecter. Le classement de celle-ci dans telle ou telle rubrique est un pari audacieux. La hiérarchisation qui veut qu’une information soit plus ou moins importante selon qu’elle se trouve ou non en première page, dans telle ou telle rubrique, illustrée ou non, est à géométrie variable. On peut traiter le fait divers comme une information politique, Le Monde a procédé ainsi dans l’affaire du meurtre de Nicolas, ou bien comme ce qu’il est traditionnellement, c’est-à-dire comme une histoire exceptionnelle. Ainsi Le Mondeet Le Parisien font deux traitements fort différents de la même affaire. Cependant si l’un s’intéresse à l’aspect politique du meurtre de Nicolas et l’autre à son aspect sensationnel, le premier a accordé une place exceptionnelle à ce fait divers, ce qui est inhabituel pour un quotidien ‘‘intellectuel’’. C’est pour cela qu’on a parlé de récupération politique du Monde qui s’est servi de l’émotion provoquée par ce drame pour organiser à son tour une campagne d’opinion. Ainsi, le fait divers a servi de support, de prétexte à l’élaboration d’un événement politico-sensationnel. On a ici un exemple de ce que certains appellent la politique spectacle.

    Quant au Parisien, il a aussi construit un événement en ne prenant en compte que l’aspect sensationnel de ce fait divers. Dans les deux cas on a assisté à une présentation de l’information qui relève du feuilleton. Mais l’un est politique et l’autre est policier. Les deux sont emblématiques de la confusion hiérarchique de l’information. Finalement, on peut s’interroger sur la valeur réelle de celle-ci tant elle est construite selon un intérêt commun que l’on découvre dans le phénomène de mimétique de l’information.

    Quoi qu’il en soit, la partition des six quotidiens en deux groupes strictement séparés sur le thème du fait divers semble de plus en plus arbitraire. Pour preuve, on va montrer les analogies de traitement du fait divers qui vont mettre en évidence le peu d’originalité entre les six quotidiens dans le choix des faits divers.

    2. Le mimetisme de l’information.

    a) Le ‘‘court-feuilleton’’.


    On entend par mimesis l’art de reproduire par la narration la réalité. Dans l’écriture journalistique, on a vu que cet art avait trois formes : la brève, le filet et l’article. Ce sont ces trois formes qui construisent le feuilleton. Bien souvent on assiste à ce sujet à un mimétisme entre les six quotidiens. Ce mimétisme est thématique, le même fait divers est repris par tous. Mais il se traduit également par une mise en page proche les unes des autres.

    On reprend ici les données concernant l’attaque de l’Airbus sur l’aéroport de Perpignan. Cette information a été beaucoup moins développée par les six quotidiens que l’affaire de Marseille. Cependant, le caractère de fait divers en feuilleton est sensible là aussi. Dans Le Monde, le Figaro et l’Humanité, il est raconté respectivement en deux, trois et deux épisodes. le Figaro est celui des trois dont les marques du feuilleton sont les plus nettes. Les titres donnés aux trois ‘‘papiers’’ sont les suivants (voir illustrations n°18, 35 et 36):

    Jeudi 15 août, l’article est titré : ‘‘Les braqueurs de Perpignan se sont enfuis avec quatre millions de francs en pesetas’’, ‘‘Hold-up éclair et policiers perplexes’’.
    Vendredi 16 août, la brève est titrée; ‘‘Perpignan. Airbus pillé : récompense à la clé’’.
    Samedi 17 - dimanche 18 août, la brève est titrée : ‘‘Perpignan. Témoin capital recherché’’.

    Au fur et à mesure de l’enquête, les titres se réduisent et ‘‘Perpignan’’ est celui qui ressort des informations. Il permet au lecteur, comme ailleurs la photographie récurrente, d’identifier l’information au premier coup d’oeil. Il suit ainsi plus aisément l’évolution ‘‘feuilletonesque’’ de ce fait divers. Souvent, un fait divers développé en article le premier jour donne lieu à une suite sous formes d’une ou deux brèves. C’est une manière de conclure l’information et de très vite passer à d’autres informations.

    Comme dans les trois quotidiens intellectuels, mais de manière plus nette, Le Parisien, France-Soir et Libération utilisent le même procédé de suivi de l’information. La méthode de Libération ressemble beaucoup à celle du Figaro. On y trouve les épisodes suivants (voir illustrations n°15bis, 27, 28, 29 et 30):

    Mercredi 14 août, l’article est titré : ‘‘Un Airbus braqué à l’atterrissage’’, ‘‘Le vol Paris-Perpignan a été délesté hier de 27 kilos de billets de banque’’.
    Jeudi 15 août, l’article est titré : ‘‘Airbus : les braqueurs l’ont échappé belle’’, ‘‘Le préfet a ordonné une enquête sur les conditions de réaction des forces de sécurité’’.
    Vendredi 16 août, la brève est titrée : ‘‘Airbus Perpignan : 1 million de récompense’’.
    Samedi 17 - dimanche 18 août, le filet est titré : ‘‘Airbus : on recherche un motard témoin’’.
    Mardi 20 août, la brève est titrée : ‘‘Un véhicule du braquage de l’Airbus à Perpignan retrouvé’’.

    Comme précédemment, un phénomène de réduction de la longueur des titres s’opère et l’énoncé ‘‘Airbus’’ devient le signe de reconnaissance de l’information. Mais comme le lecteur fidèle a la mémoire courte, le rédacteur rappelle, après une journée de rupture, le lundi 19 août, dans le suivi de ce fait divers, en re-situant les faits que l’information a déjà été traitée dans les numéros précédents du quotidien.

    Si Libération développe plus l’attaque de cet avion de ligne que le Figaro, le suivi de l’information est le même dans ces deux quotidiens. Cet exemple de traitement du fait divers en épisodes montre la volonté d’apporter une suite à un article qui valorise plus une information qu’une brève. Dans les deux quotidiens, le feuilleton informatif commence par un article illustré. L’importance accordée à l’information se traduit ainsi. Dès lors, elle nécessite un suivi qui est justifié par ce premier article. En effet, une information qui est d’abord donnée sous la forme d’une brève disparaît souvent aussi vite qu’elle a été publiée. Pour celle-ci, il n’y a pas de suivi. Ainsi en va-t-il de ces informations éphémères. Mais parfois, comme c’est le cas dans Le Parisien dans d’autres faits divers que ceux choisis, et dans Le Monde la brève constitue souvent le premier épisode d’une information développée le lendemain en article et conclue le surlendemain en brève. Cette structure ternaire de ‘‘l’information-feuilleton’’ n’est pas automatique mais elle est souvent de mise.

    2. Le mimetisme de l’information.

    b) Nuances des feuilletons

    Cependant, le roman-feuilleton et l’information en épisodes se différencient même s’ils ont la caractéristique commune d’être une histoire publiée en plusieurs fois. En effet, le roman publié dans la presse est supposé être déjà écrit dans son ensemble avant d’être donné en feuilleton. Ainsi, l’épisode du jour est supposé avoir été annoncé dans celui de la veille et il se finit en préparant celui du lendemain. Autrement dit, les événements de l’histoire rapportés en feuilleton sont connus d’avance ce qui n’est évidemment pas le cas dans la narration d’un fait divers. D’ou la nécessité pour le journaliste de rappeler les événements de la veille dans l’article du jour. Ce rappel peut-être fait, comme on l’a vu précédemment, par la création d’un titre, ‘‘Airbus’’, ou bien par un résumé des événements de la veille dans le premier paragraphe de l’article du jour :
    ‘‘Au moins cinq hommes masqués et lourdement armés avaient attaqué mardi en fin d’après-midi un Airbus A 320 sur les pistes de l’aéroport de Perpignan, avant de prendre la fuite à bord de deux camionnettes avec deux sacs de billets, des pesetas pour l’essentiel, et des dollars, pour une valeur estimée hier à 4,4 millions de francs.’’(voir également illustration n°34, 35, et n°22, 1er , 2ème et 3ème paragraphe et n°31, 1er paragraphe).

    Ce procédé est commun à toute écriture journalistique. Il est inutile et surtout il serait stylistiquement lourd, car répétitif, dans celle du littérateur.

    Le journaliste construit donc au jour le jour l’information. De plus, s’il a la possibilité d’utiliser des figures de style, celui-ci est limité dans son style d’écriture par le simple fait qu’il est soumis à l’objectivité et surtout à l’évolution des événements qu’il ne connaît pas et qu’il ne peut pas deviner. Les effets de style sont donc possibles mais au jour le jour. Cela restreint les possibilités d’écriture, et c’est pour cela qu’en définitive, on lit la même chose d’un quotidien à un autre. C’est vrai surtout dans les articles de fait divers où la mimesis s’exprime le mieux. Cependant; cette mimesis, ou écriture du réel, peut être, plus que dans d’autres genres journalistiques, enrichie par des effets mélodramatiques, de suspense (on ne connaît pas l’auteur d’un crime), de voix narratives (comme le discours indirect qui est plus subjectif que le discours direct). Mais très souvent ces effets sont rendus possibles par la nature de l’information. Deux adultes qui s’entre-tuent au couteau est moins sensationnel qu’un adolescent qui tue un autre adolescent. Le meurtre de Marseille porte en lui tous les effets mélodramatiques exploités après par les journalistes : jeunesse de la victime, agression sans raison, jeunesse de l’agresseur, trois éléments qui suffisent pour créer l’émotion des marseillais puis, après le relais médiatique, celle de toute la France.. Ces derniers se contentent alors, parce qu’ils n’ont pas le choix, de mettre en forme les trois éléments qui feront le bon article. Du coup, les différences de traitement du fait divers apparaissent plus grâce à la mise en page que grâce à la qualité des textes.

    Il n’y a qu’à parcourir un an de faits divers pour se rendre compte que l’inventivité de ces six quotidiens ne réside ni dans le choix de publication de ceux-ci, ni dans le style narratif qui va du simple compte rendu en quatre questions - la brève - à l’article souvent répétitif et aux métaphores éculées. Etonnamment, la tonalité de l’écriture du fait divers semble calquée sur celle d’un cour magistral de faculté. Et on en vient à regretter parfois la faiblesse de la mise en scène de ce genre d’information qui a tendance à s’intellectualiser. Cela se fait peut-être sous l’influence des quotidiens intellectuels qui prennent le fait divers non plus comme un ‘‘histoire qui accroche’’ mais comme un symptôme de dysfonctionnement social.

    On peut affirmer maintenant que la différence essentielle entre les quotidiens populaires et intellectuels est d’ordre quantitatif et non qualitatif. On a vu que la mise en page interne de la rubrique des faits divers est sensiblement la même d’un quotidien à l’autre, que les illustrations étaient les mêmes y compris dans le format, que la première page n’exclut pas le fait divers en particulier chez les trois quotidiens intellectuels, que le registre de langue de l’un et l’autre groupe et l’utilisation de figures de style leur était commune et enfin que la notion de faits divers en feuilleton est présente également dans les deux groupes. La seule différence majeure dans le traitement des fait divers est un développement parfois moins élaboré quantitativement dans la presse intellectuelle que dans la presse populaire. Mais on a vu aussi dans l’affaire Nicolas que les quotidiens intellectuels, et Le Monde en particulier, produisent plus d’articles que ceux réputés populaires. D’autre part on serait prudent en affirmant que le trio intellectuel est systématiquement moins productif en ce qui concerne les faits divers car on a montré qu’à la différence des quotidiens populaires, il les éparpillait sur l’ensemble de leur pagination alors que les autres les concentraient dans une ou deux rubriques. Cet éparpillement est une manière de montrer et de dire qu’ils n’accordent qu’une petite importance à ce genre d’informations. Cela révèle aussi toute l’importance de cette macro- mise en page des faits divers dont on peut affirmer qu’elle constitue le seul moyen pour différencier les six quotidiens sur le traitement de ces ‘‘inclassables de l’information’’.

    Par ailleurs leur traitement en première page est connotatif de l’importance que leur accorde la rédaction. Cette importance est telle que parfois le fait divers qu’on imagine souvent relégué en dernière page ou en brèves, prend un volume inhabituel et devient un événement au sens journalistique et non plus lexicologique. Alors, quel est aujourd’hui dans la presse quotidienne le statut du fait divers par rapport aux autres informations?

    CHAPITRE 3 - LE FAIT DIVERS EN TOILE DE FOND


    B/ Le fait divers en événement.


    1. les débordements de la rubrique des faits divers.

    a) Le fait divers à la ‘‘une’’.


    La marque la plus évidente d’une information traitée en événement dans la presse écrite est son apparition en première page, ou comme on dit en langage journalistique, à la ‘‘Une’’. On a vu à partir des trois exemples choisis que le fait divers pouvait être donné en titre ou mieux encore en ‘‘manchette’’. Dans les deux cas, le choix relève d’une volonté de mise en avant de l’information. La hiérarchie des faits est donc essentiellement construite sur l’ordre d’apparition de ceux-ci en première page. Cette hiérarchie s’exprime donc par la mise en page. La ‘‘manchette’’, reconnaissable par sa typographie, la grosseur des lettres en particulier, et par la présence d’une illustration, dessin ou photographie, constitue l’information la plus importante du jour. Les autres informations données en titres subissent une hiérarchie verticale. Les titres sont donnés en cascade et ne suivent pas systématiquement la pagination. Donné du haut en bas de la page, leur ordre d’apparition est aussi le degré d’importance que la rédaction leur accorde. Ainsi, en partant du postulat que le traitement du fait divers dans les quotidiens les discriminent, on a opposé a priori les quotidiens dits intellectuels (Le Monde, Le Figaro, l’Humanité) aux quotidiens réputés populaires (Libération, Le Parisien,France-Soir). On pouvait imaginer que les premiers seraient bien moins prolixes en première page et que les seconds allaient saturer leur ‘‘Une’’ de faits divers. La vérification de cette hypothèse a confirmé que France-Soir faisait plus souvent sa ‘‘Une’’ sur un fait divers que Le Monde. Mais on s’est aperçu que ce quotidien n’hésitait pas à faire de même, et très souvent, qu’il publiait en première page des articles de faits divers (revoir illustration n°3 et 3bis). Mais l’absence d’illustrations minore ces informations. Elle se font aussi discrètes que les autres. La publication récurrente de ce genre de nouvelles en tête de journal est surprenante dans un quotidien à vocation élitiste. L’autre surprise provient du Parisien-Aujourd’hui en France. Aucune manchette n’a été accordée à l’affaire de Marseille. Cette attitude n’est pas exceptionnelle dans la traitement du fait divers par ce quotidien. Même ‘‘l’affaire Dutroux’’ n’a pas donné lieu à un déferlante de ‘‘Une’’ dans Le Parisien. En revanche, le meurtre de Nicolas est repris en titres dans la première page. Ce quotidien exploite finalement de manière modérée les faits divers en première page. La mise en page montre que ce genre d’information est traité ici à égalité avec le reste de l’actualité. Il ne dirige pas la ligne éditoriale de ce quotidien réputé populaire. Mais la première page n’est pas la seule marque de l’événement journalistique.

    b) Du feuilleton à la série.

    Les trois faits divers choisis sont représentatifs du volume, en terme de nombre d’articles, que peut prendre le fait divers dans les six journaux sélectionnés. A ce titre, on a vu que les quotidiens accordaient dans l’ensemble le même nombre d’articles les uns par rapport aux autres. Les nuances sont toujours possibles mais on remarque l’attitude mimétique des six quotidiens sur la thématique des faits divers publiés. Si on pouvait le vérifier, on s’apercevrait sans doute que ce mimétisme est dû en grande partie au fait que la source d’information des six quotidiens est la même. Elle s’appelle l’Agence France Presse, Reuter ou Associated Press. On pourrait confirmer le soupçon qu’on a sur la réécriture des dépêches d’agence. De plus, le mimétisme est en particulier observable sur des faits divers à forte portée émotive comme la mort de jeunes adultes, d’adolescents ou d’enfants. Les deux jeunes filles qui se suicident ensemble ou le meurtre de Nicolas sont à l’image de la déferlante de faits divers de ce type qu’a connu le mois de septembre 1996. Car avant l’assassinat de Nicolas, les six quotidiens avaient fait écho de celui, le 31 août, de Christelle par son petit ami Sébastien, vingt ans tous les deux, puis de celui de Mary-Lou, une adolescente de treize ans tuée d’une balle dans le dos le 1er septembre à Montpellier, et enfin de celui de Nicolas, quatorze ans à Marseille. Ces trois meurtres ont tous été traités par les quotidiens et ont occupé la rubrique des faits divers pendant près de quinze jours. Cette apparente loi des séries, apparente car rien ne prouve qu’il n’en fut pas de même pour d’autres drames que la presse aurait sciemment ignorés car moins sensationnels, constitue en elle-même un événement amplifié par le traitement systématique dans les pages de ces journaux. Ainsi le feuilleton s’est ajouté à la série, faisant du nombre le critère fondamental du fait divers événementiel.

    Un suicide est moins sensationnel qu’un suicide collectif. Si en plus les victimes sont des jeunes filles et qu’elles sont jolies, ce qui est invérifiable pour celles de Reims mais qui s’avère vrai pour Christelle et Mary-Lou, le sentiment d’horreur est , injustement, encore plus intense grâce à la photographie. D’ou le rôle essentiel de l’illustration dans l’exploitation des faits divers. Mais une description précise peut avoir le même impact sur le lecteur et elle a l’avantage d’être moins ostentatoire que l’image car elle se confond dans la masse du texte. De plus, elle reste tout autant subjective que l’image et peut être tout aussi licencieuse que celle-ci car les faits qu’elle décrit le sont eux-mêmes. Enfin est surtout, la description n’est jamais neutre. Elle est ce qu’Aristote appelle une ‘‘preuve’’. Elle prouve l’existence des faits relatés et tente de s’approcher de la plus grande réalité. Ainsi, un journaliste décrivant un fait de manière mélodramatique déforme une partie de la réalité pour donner à celle-ci une tonalité littéraire proche du conte extraordinaire. Là est la différence entre l’écriture d’une brève et celle d’un article de fait divers.

    Ces faits divers tragiques donnés en cascade, récurrents jour après jour pendant deux semaines et journaux après journaux, construisent un système de répétitions dont l’abondance crée le sensationnel. Ce système est composé d’une double répétition : thématique et mimétique. Ici le thème répété est la mort violente de trois adolescents et le mimétisme est la répétition de la mimesis des faits d’un quotidien à un autre, qu’ils soient intellectuels ou populaires. Ces répétitions ont un effet d’amplification de l’information d’autant plus efficace qu’elles sont lisibles en feuilleton, que la répétition journalière du thème est souvent accompagnée d’un rappel des faits de la veille dans l’article du jour. Ce système de répétitions emboîtées les unes dans les autres telles des poupées gigognes relève du ‘‘lavage de cerveau’’ tant le sensationnel est mis en valeur. Il ne faut que cela pour faire passer une idéologie sans que le lecteur ne le soupçonne. Le fait divers est donc très efficace comme porteur idéologique, d’où leur politisation récurrente dansl’Humanité, épisodique dans Le Monde et Libération et leur populisme dansFrance-Soir (utilisation de métaphores animales pour décrire un comportement humain - le ‘‘fauve’’ de l’illustration n°53 - et surtout utilisation d’un registre de langue populaire voire vulgaire), et parfois dans Le Figaro avec les même métaphores et l’utilisation fréquente de photographies. Remarquons un populisme beaucoup moins ‘‘tape-à-l’oeil’’ dans Le Parisien et cela grâce à une tonalité textuelle beaucoup plus sobre que France-Soir et une mise en page illustrative plus proche du Figaro ou de Libération que de France-Soir.

    Enfin il arrive plus souvent qu’on ne l’imagine que ce système de répétition, que cet effet de mode thématique et narrative au sein et entre les six quotidiens, aboutisse à un effet de contamination du fait divers aux autres rubriques. On peut lire alors des faits divers dans des rubriques où ils n’ont pas habituellement leur place. Cela est surtout vrai dans les quotidiens dits intellectuels, et on peut dire alors qu’au-delà de l’événement le fait divers porte la trace d’une problématique de discours, qu’il devient non seulement un porteur d’idéologie mais aussi le fil conducteur de toute l’information. On va montrer comment.

    2. L’amplification de l’événement.

    a) Les échos du fait divers.


    Les remarques les plus significatives sur le traitement exacerbé des faits divers concernent les quotidiens dont ce n’est pas la spécialité, c’est-à-dire ceux de réputation intellectuelle. On a choisi parmi ceux-ci l’exemple le plus éclairant c’est-à-dire le traitement par Le Monde du meurtre de Nicolas à Marseille. On a montré que le volume occupé par ce fait divers, douze articles soit le double de ceux publiés ailleurs, sa présence en première page sous la forme de titres et d’articles et la politisation orchestrée entre autre par ce journal, ont concouru à la construction de ce fait divers en événement. On peut ajouter à cela une remarque concernant les rubriques qui reprennent à leur tour cette information.

    Au troisième jour de l’affaire, le vendredi 13 septembre qui constitue ici l’acmé de l’événement, Le Monde publie une chronique d’Anne Logeart intitulée ‘‘Un meurtre’’. L’écriture de cette chronique utilise beaucoup d’effets mélodramatiques qui concourent à reconstituer la rapidité de l’action : phrases très courtes et qui s’enchaînent, énoncés violents (‘‘Nicolas est mort dans son sang’’ 1er paragraphe de l’illustration n°69), émouvants (‘‘des jeunes filles en larmes (...) la vie est si fragile’’ 2ème paragraphe). Ces procédés sont très courants dans la narration d’un fait divers. Puis le troisième paragraphe dénonce la récupération politique de ce meurtre par le F.N.. Et enfin une dénonciation du racisme en général portée par un rappel dans la dernière phrase de la mort de Nicolas. On trouve cette chronique à la page 27 dans la rubrique ‘‘Radio-télévision’’. Habituellement, et c’est une belle lapalissade, celle-ci a pour cible les émissions de radio et de télévision. Mais elle montre que ce fait divers n’est pas à sa place habituelle. Elle est si inattendue qu’on ne peut s’empêcher de penser que ce n’est pas innocent, que cela montre une forme de rhétorique politico-médiatique qui s’exprime aussi par la mise en page.

    En effet, plutôt que de rassembler dans une seule et même rubrique, par exemple ‘‘Société’’, toutes les informations et les opinions concernant ce fait divers, Le Monde l’éparpille dans plusieurs rubriques. Ainsi, cela permet par la non concentration du fait divers, concentration pratiquée dans la presse populaire, une mise en page au sensationnalisme atténué pour ne pas dire étouffé. De plus cette technique d’éparpillement s’étend jusqu’au supplément hebdomadaire ‘‘Télévision- Radio-Multimédia’’. Il n’y a qu’à lire l’autre chronique signée de Daniel Schneidermann et publiée dans ce supplément du Monde daté du dimanche 15 - lundi 16 septembre pour s’en convaincre (voir illustration n°76). L’interview par la télévision du père de Nicolas justifie la publication de la chronique qui dévie très vite vers un point de vue exprimé par une métaphore filée qui n’est pas sans rappeler le tableau de Théodore Gericault intitulé le ‘‘Radeau de la Méduse’’ (le père ‘‘naufragé’’, la mort qui rode exprimée par la métaphore animale comparant Le Pen à un ‘‘squale’’ et le ‘‘remous des médias’’ dans lequel évolue tout cela).

    Alors, après cette avalanche d’articles, ce fait divers prend une autre dimension que celle de l’événement. Il constitue désormais le fil rédactionnel du numéro du jour, la thématique qui va inspirer des commentaires en des lieux - des rubriques -, inhabituels. Ainsi l’événement créé cristallise sur lui toutes les réactions à commencer par celles de leurs créateurs. Si la cause est juste dans le cas du meurtre de Nicolas, il est permis de dire que cette construction événementielle participe à ce que certains qualifient de ‘‘politique spectacle’’. Et on n’est pas loin de pouvoir affirmer que dans les quotidiens intellectuels, le fait divers devient parfois , comme souvent dans la presse populaire, la toile de fond de l’information.

    b) La dérive de ‘‘l’événement divers’’.

    Enfin, ce fait divers va jusqu’à inspirer l’auteur de l’éditorial du Monde daté du 14 septembre (illustration n°74). A propos de la récupération politique par le F. N du meurtre de Nicolas, il parle du ‘‘scandaleux détournement d’émotion autour d’un fait divers singulier’’. Un détournement que les médias ont à leur tour détourné en exploitant le fait divers jusqu’à en faire ‘‘l’événement’’ de la semaine. Cette phrase fait écho aux ‘‘remous’’ médiatiques à peine dénoncés par Daniel Schneidermann. La presse écrite n’est pas la dernière concernée par ces remous. Dès lors on peut s’autoriser à dire que si l’émotion est le ressort narratif du fait divers, comme on l’a montré dans le premier chapitre, et que celui-ci est enrichi d’un discours idéologique, comme on l’a expliqué dans le deuxième chapitre à propos d’un fait divers publié dans l’Humanité, alors il y a manipulation de l’opinion à des fins événementielles partisanes. Et Quid de l’objectivité journalistique dont se réclameLe Monde et d’autres?

    Cette transformation du fait divers en événement et les intentions cachées qui sont liées à celle-ci est, contrairement aux quotidiens intellectuels, un phénomène naturel dans la presse populaire. Celle-ci l’exprime par des critères qu’on a déjà montrés mais qu’on peut rappeler brièvement. Ces critères sont liés à la mise en page des textes et surtout à celle des illustrations.

    Plus que le dessin reproduisant les événements d’un fait divers et qui peut être aisément remplacé par le récit descriptif de ceux-ci, la photographie est un élément indissociable du traitement d’un fait divers en événement. Les photographies publiées dans France-Soir constituent souvent la moitié de l’événement par ses dimensions racoleuses. Elles n’apportent pas d’informations supplémentaires au lecteur et satisfont bien souvent son voyeurisme. Cette tradition de l’image spectaculaire peut choquer ou laisser indifférent.

    Mais on peut également trouver dans ce quotidien des images dont la véracité n’est pas assurée. La manchette du numéro du 10 septembre est illustrée par une de ces images fabriquée pour l’occasion. On y voit un jeune garçon en casquette agresser une adolescente. L’expression du visage de la jeune fille n’est pas convaincante de la réalité de l’agression. Un sourire voire une franche hilarité se cache derrière son rictus éclatant. Cette mise en scène photographique, qui s’ajoute à celle, naturelle, de la narration du fait divers, est de trop. Elle n’apporte aucune information, elle est strictement illustrative. C’est à une surenchère de sensationnel via la photographie à laquelle on assiste souvent dans France-Soir. Cette surenchère est le signe d’une fuite en avant où il faut provoquer toujours plus de frisson chez le lecteur qui se lasse vite de la récurrence thématique du fait divers.

    On a vu comment le fait divers était traité en événement dans les quotidiens intellectuels et populaires. Pourtant un paradoxe se dégage de ces deux genres journalistiques. En effet, le fait divers prend sa source dans le quotidien des gens. Il se vend bien car il parle d’eux, il se comprend immédiatement. Il montre une rupture, souvent tragique, dans la vie de ‘‘monsieur tout-le-monde’’. Cela n’empêche pas à la lassitude de s’installer tant le fait divers est répétitif. A côté de cela, il y a la création de l’événement qui vient rompre cette lassitude en valorisant ce genre d’informations souvent écrites brièvement. De ce fait, une double rupture est créée, et celles-ci sont de même nature et ont le même objectif : exciter la curiosité intellectuelle ou celle des passions. On pourrait donc dire que l’événement est le fait divers rédactionnel dans l’information quotidienne Il est destiné à sortir cette dernière de sa léthargie et de celle du lecteur. De là à dire que toute information est fait divers, il y a un pas qu’a franchi l’Humanité. S’il est bien un quotidien qui est capable de tout transformer en témoignage sur la grandeur humaine des communistes et d’eux seuls, c’est ce quotidien. Y compris dans le récit de fait divers que les autres quotidiens ignorent totalement (revoir illustration n°6). Mais celui-ci n’a jamais prétendu valoriser l’objectivité de l’information dans ses articles contrairement à d’autres.

    Il ressort de cette pratique événementielle du fait divers dans la presse intellectuelle une confusion sur l’identité réelle de l’information. Le fait divers est-il encore une information dont l’objectif est de distraire et d’émouvoir? Est-ce que ce n’est encore qu’une histoire qui ‘‘accroche’’? L’utilisation de ce genre d’information à des fins idéologiques est une preuve de la reconnaissance par la presse intellectuelle. En intellectualisant le fait divers, en le prenant comme un symptôme de dysfonctionnement social, cette presse réunit la réflexion et l’émotionnel. Quand elle en fait un événement, elle le hisse à la hauteur de l’information ‘‘sérieuse’’ que lui reconnaît la presse populaire depuis toujours. Les différences de traitements du fait divers entre les six quotidiens ne sont finalement pas si différentes qu’on l’imaginait, et on est tenté de dire que la presse intellectuelle a fait un pas vers la presse populaire dans sa présentation des faits divers, dans sa mise en page. En lui accordant la ‘‘Une’’ et les gros titres, à l’égal des informations ‘‘sérieuses’’, elle uniformise l’information en cassant sa hiérarchie traditionnelle de l’information.

    CONCLUSION


    Historiquement, le fait divers a toujours fondé la hiérarchisation de la presse quotidienne française. On en veut pour preuve l’avènement au XIXème siècle de la presse de masse et la ligne éditoriale d’un Figaro alors populaire. L’objectif de l’étude comparative des faits divers publiés dans la presse quotidienne française d’aujourd’hui, composée de quotidiens dit ‘‘intellectuels comme Le Monde, Le Figaro, l’Humanité, et d’autres réputés populaires comme Libération, Le Parisien-Aujourd’hui en France, et France-Soir, était de montrer qu’il y a dans leur traitement de l’information fait divers, des signes qui laissent penser que l’opposition entre ces deux groupes n’est pas aussi nette. Autrement dit, que la hiérarchie couramment admise des quotidiens est aujourd’hui dépassée.

    Il a toujours été difficile de définir avec précision le fait divers. La lexicologie donne des définitions assez peu précises qui ont été complétées par les études de Roland Barthes et de Georges Auclair sur leur structure. En s’inspirant de ces deux sources, on a redéfini le fait divers en dégageant essentiellement ses notions récurrentes, les notions qui permettent d’affirmer que telle ou telle information est bien un fait divers et donc qu’il est publié dans telle ou telle rubrique. C’est à partir de cette nouvelle définition qu’on a pu opposer les informations de type ‘‘intellectuel’’ et celles de type sensationnel, et qu’on a sélectionné les trois faits divers qui illustrent l’étude. De plus, cette nouvelle définition comparée à celle de ‘‘événement’’ a montré le détournement de sens opéré par le langage journalistique. En effet, ces deux mots lexicologiquement identiques, d’un niveau de langue égal, n’ont pas la même notoriété dans la presse. Que cela soit dans l’un ou l’autre des six quotidiens, le fait divers est toujours minoré par rapport à l’événement.

    Les intitulés et l’ordre d’apparition des rubriques sont significatifs de cette hiérarchie de l’information. Cette hiérarchie fonde celle des quotidiens. C’est donc par la mise en page de la chronique des faits divers par rapport aux autres rubriques qu’on a pu établir une nouvelle hiérarchie des quotidiens. Ainsi, ceux à caractère populaire concentrent le fait divers dans une rubrique quand ceux dits ‘‘intellectuel’’ l’éparpillent au vent de leurs paginations. C’est la seule opposition constante qui existe entre les quotidiens. C’est pour cela qu’on l’a choisi pour établir la classification de ceux-ci en deux groupes. Celui des trois quotidiens ‘‘intellectuels’’ dissimule le fait divers quand l’autre en fait l’étalage. Cependant, cette mise en page de la rubrique des faits divers par rapport aux autres rubriques n’est pas le seul critère discriminatoire entre la presse populaire et intellectuelle.

    Le second type de mise en page concerne l’organisation des faits divers dans leur rubrique. A première vue, on constate une grande diversité dans celle-ci. Les formes énonciatives que prend le fait divers sont au nombre de trois : la brève, le filet et l’article. Selon qu’il ait la forme d’un article ou d’une brève, l’importance qu’on lui accorde sera plus ou moins grande. Même chose s'il est annoncé dans la manchette ou publié en première page. Ces critères permettent d’établir un portrait robot de toutes les mises en page observées des faits divers sur la période choisie. On constate des ressemblances importantes entre les rubriques qui montrent le mimétisme surprenant entre les six quotidiens dans les lieux du fait divers.

    D’autre part, le style mélodramatique est sensible dans les six quotidiens Ce n’est pas surprenant car il constitue le ressort du sensationnalisme propre à ce genre d’information. On a montré également que la figure de l’antithèse était un autre ressort de ce sensationnalisme. Plus les mondes que la vie oppose naturellement se croisent, plus la rencontre est brutale et plus le sensationnalisme est amplifié. Ainsi, que se passe-t-il quand celui de la politique croise celui du fait divers? La presse intellectuelle en fait ce qu’elle appelle un ‘‘événement’’ quand celle dite populaire le traite comme d’habitude, en les reliant mais sans les mélanger. De ce fait, certains quotidiens intellectuels légitime le fait divers qui devient politique. Mais il y a un effet pervers. En utilisant le fait divers, lieu par excellence de l’affect et du divertissement, comme support à une information politique, ils participent à ce que certains appellent la ‘‘politique spectacle’’ et à son cortège de démagogie et de manipulations. Tout cela est réalisé pour échapper à l’uniformisation de l’information dont on voit les signes dans la thématique du fait divers et dans ses mises en page. Dans ce cas, quid de l’objectivité et du sérieux rédactionnel? Ils semblent impossible à respecter car ce mélange de genre journalistique, mélange de l’affect et de l’intellect, est lui même antithétique.

    Mais celui-ci génère une amplification de l’information dont l’événement ne peut se passer. Ce dernier est aussi nourri par l’organisation en feuilleton du fait divers. On a constaté à ce sujet que là aussi il était difficile de faire la différence entre les quotidiens dits intellectuels et ceux réputés populaires. Les six quotidiens accordent fréquemment le même nombre de numéros à la même affaire. On a vu que le fait divers en feuilleton se déclinait pendant deux et jusqu’à six jours. Quand un fait divers dépasse cette durée d’exploitation, et quand il revient régulièrement, ou épisodiquement, les journalistes parlent alors d’ ‘‘affaire X’’, stade ultime de l’exploitation d’une information. Ce cas est arrivé en août 1996 quand ‘‘l’affaire Dutroux’’ a commencé. Elle a duré jusqu’en mai 1998, relancée alors par la tentative d’évasion du criminel. Mais ce type de faits divers ‘‘monstrueux’’ sont rares. Ils ne sont pas significatifs du traitement habituel car une ‘‘affaires’’ est, par essence, exceptionnelle.

    Cependant on voit que le fait divers n’échappe pas à une exploitation digne de la ‘‘guerre du Golfe’’ de 1991. Des signes atténués de ce débordement d’information sont pourtant sensibles dans les six quotidiens. Les plus intéressants proviennent des quotidiens intellectuels. On a remarqué qu’en plus du traitement d’un fait divers en feuilleton, il arrive parfois que celui-ci déborde sur les autres rubriques, ‘‘qu’il contamine’’ le reste de l’information. Elle est alors soumise au fait divers qui impose son thème du jour ou de la semaine. On découvre alors que la pédophilie, ou de dangereux mouvements politiques, nous ont envahit. Le fait divers devient la deuxième toile de fond de l’information sur laquelle vient s’inscrire tous les excès d’une presse qui perd parfois ses esprits.

    L’honnêteté qui incombe à l’esprit positiviste du rédacteur amené à préciser que le choix du fait divers comme discriminant de la presse intellectuelle et populaire est partisan. Si la tradition historique de l’exploitation de ce genre d’information atteste ce rôle discriminatoire, il semble utile de préciser que ce n’est sans doute pas le seul. Il faudrait faire une étude comparative des rubriques à caractère culturel et celles qui donnent des informations sur la vie quotidienne, pour pouvoir certifier que la division des quotidiens en deux groupes est désormais caduque. On peut affirmer tout au plus que les différents traitements du fait divers, mises en page et fabrication de l’événement ‘‘divers’’, montrent par leur mimétisme les signes d’un rapprochement entre la presse ‘‘intellectuelle’’ et la presse ‘‘populaire’’. On pourrait logiquement parler de démocratisation de l’information et de l’amplification d’une uniformisation déjà bien ‘‘En Vue’’...

    Source:  http://constant.j.free.fr/memoires/jerome_constant/bibliographie.htm