• Le verlan

    1. Qu'est-ce que c'est ?

        Le verlan consiste à créer des mots argotiques selon des procédés formels. Il s'agit d'un argot à clefs comme le largonji, le louchébem, le javanais, le largonjem. Les formes sont codées selon des principes préétablis.

    a) Le mot verlan

    Le mot vient de la verlanisation de l'envers : verlan. Les syllabes ont été inversées et le nom peut faire donner une fausse définition des codes du verlan. Gaston Esnault l'écrit vers-l'en, Auguste Le Breton verlen.

        « J'ai introduit le verlan en littérature dans Le Rififi chez les hommes, en 1954.Verlen avec un e comme envers et non verlan avec un a comme ils l'écrivent tous... Le verlen, c'est nous qui l'avons créé avec Jeannot du Chapiteau, vers 1940-41, le grand Toulousain, et un tas d'autres. »
                    (Auguste Le Breton, in Le Monde 8-9 déc. 1985.)   

    Une erreur à ne pas commettre : pour beaucoup de personnes, le verlan consiste seulement à inverser les syllabes. C'est exact pour un certain nombre de mots simples comme métro et tromé, bizarre et zarbi, mais les permutations ne concernent pas seulement les syllabes, elles peuvent porter aussi sur les phonèmes ou les lettres normalement non prononcées. Les procédés peuvent être encore plus complexes avec la reverlanisation (feuck à partir de keuf, laisse tombe à partir de laisse béton), la double verlanisation (chelaoim), des métathèses secondaires (demeur à partir de deumer, merde), des verlanisations internes et incomplètes (chewam, chez moi, chewat, chez toi), des fausses coupes et agglutinations (rabza pour des Arabes).

    Un autre aspect important du verlan concerne le sens des mots, on réduit souvent le verlan à l'aspect phonétique sans observer le travail sur les significations. Le verlan emprunte des mots à différentes sources allophones et néglige des synonymes courants, il peut ainsi passer par un encodage sémantique. Il peut aussi jouer sur des métaphores afin de ne pas partir du terme exact courant. Le brouillage peut aussi se servir des homonymies avec le français standard.

    b) D'où vient-il ?

    Sûrement pas des cités de la banlieue ou teucis. Il n'est pas non plus né dans les prisons durant les années 40, contrairement à ce qu'affirme Le Breton. La première attestation du mot se trouve chez Esnault en 1953. Le procédé est en fait plus ancien : Lontou pour Toulon (début XIXe s.), Séquinzouil ou Louis XV (vers 1760), Bonbour (1585), Sispi ou Pie VI (chez Louvet de Couvray en 1791. Plus généralement, le verlan est un argot à clefs, il procède à des déformations de mots selon les mêmes principes que ces argots à cette différence près que le procédé principal de permutation repose sur l'inversion d'ensembles phonétiques ou graphiqueset non plus simplement de phonèmes. Mais encore, le verlan se rattache au genre plus vaste des jeux de langage comme l'anagramme. Or l'anagramme permet de brouiller la compréhension des mots et elle a été utilisée dans l'argot dès le XVe siècle. Marcel Schwob dans son Étude sur l'argot françaiscite l'exemple de tabar (manteau) qui est l'anagramme de rabat (mot de même sens à l'époque) dans Le Petit Testament de François Villon.

    Une démarche strictement synchronique attribue bien trop souvent l'invention ou l'usage du verlan aux jeunes vivant dans les banlieues, de préférence parisiennes, généralement d'origine immigrée. Il s'agit là d'une vision étriquée, naïve et sans nuance de réalités bien plus complexes.

    Le succès du verlan dans les couches populaires et jeunes de la société, son emploi dans les films ou les chansons a répandu l'usage du verlan bien au-delà des quartiers défavorisés ou d'une partie de la population. Le verlan est, sans aucun doute, l'un des procédés argotiques les plus productifs, mais c'est aussi parce qu'il est fortement typé, aisément identifiable. Un grand nombre de termes ont donc été repris par des jeunes de tous milieux sur tout le territoire. Ils sont pour une part entrés dans le langage familier et ont depuis vingt ans perdu leur connotation argotique.

     

    Pour aller plus loin :

    Le verlan c'est devenu trop « relou» !

    Presque toute la France avait adopté les « meufs », « oufs » et « chelou » nés dans les cités. Mais, selon le linguiste Alain Rey, ce verlan n'a plus la cote dans les quartiers où de nouveaux mots ont fait leur apparition.

    Ces derniers temps, le célèbre linguiste Alain Rey, dont la nouvelle édition du « Dictionnaire historique de la langue française » vient d'être publiée, a observé un truc de « ouf » (fou), pour ne pas dire « chelou » (louche). Le verlan, cet argot qui consiste à inverser les syllabes, n'a franchement plus la cote en banlieue.

    « Cette créativité, ayant fait naître les mots keuf (flic), meuf (femme) ou beur (arabe) qui sont ensuite entrés dans le langage courant, s'est fortement essoufflée », constate ce conseiller éditorial des Editions Le Robert. Il faut effectivement remonter à plusieurs années pour trouver des mots de verlan ayant pu sortir des cages d'escaliers.

    « Caillera » (racaille), « véner » (énervé), « pécho » (choper), « à donf » (à fond) ou « renoi » (noir) font partie des derniers arrivants. « Céfran » (français) et « reum » (mère) semblent, eux, déjà périmés. Localement, il peut continuer à y avoir de multiples naissances de mots de verlan. Mais ceux-ci restent prisonniers du quartier, voire même de la bande, qui considère ce jeu linguistique comme un langage quasiment crypté.

    Selon Alain Rey, qui suit de près l'évolution de la « tchatche », deux raisons expliquent ce phénomène. La première, c'est que les ambassadeurs du verlan, c'est-à-dire les rappeurs et tous ceux qui font bouger la culture hip-hop, ont changé de registre en ayant moins recours, dans leurs paroles, au verlan, jugé un peu ringard. La seconde, c'est que cette fameuse créativité s'est déplacée, victime d'un « changement de mode ». « On assiste désormais à une entrée en scène des langues maternelles. Les jeunes vont davantage insérer des mots provenant de la culture de leurs parents », explique-t-il.

    Abdelkarim Tengour, alias Cobra le Cynique, qui a créé sur la Toile l'excellent Dictionnaire de la zone (www.dictionnairedelazone.fr) recensant plusieurs centaines d'expressions du béton, est sur la même longueur d'ondes. « Les jeunes intègrent de plus en plus de mots arabes dans leur argot », indique cet ingénieur informatique de l'Essonne. Pour le rappeur Rost, à la tête de l'association Banlieues actives, cette « évolution est liée aux replis communautaires ».

    « On a constaté ces dernières années dans les cités un repli vers la famille en raison de la crise. Cela a forcément une influence sur le langage : on va utiliser davantage les mots de la communauté pour communiquer », avance-t-il. Ces emprunts à l'arabe, mais aussi au bambara ou au créole, font une percée dans les textes des rappeurs, à l'instar de Mister You ou Tunisiano. Sur le déclin, le verlan n'est pas, pour autant, totalement mort. Aussi « zarbi » (bizarre) que cela puisse paraître, c'est un peu comme un volcan endormi susceptible de se réveiller à tout moment. « Ça peut, par exemple, se recycler en littérature, prévient Alain Rey. En linguistique, on peut tout imaginer mais on ne peut rien prévoir… »


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