• Comment réformer l'orthographe française ?

    À priori, les partisans d'une simplification substantielle de l'orthographe (ortografe ?) française ne manquent pas de bons arguments : complications byzantines par rapport à d'autres langues latines comme l'espagnol et l'italien, performances médiocres des élèves français comparés à leurs cousins latins (enquêtes à l'appui), beaucoup d'incohérences passablement irritantes, discriminations absurdes à l'embauche, des étrangers découragés d'apprendre le français... Voilà un panel impressionnant ! Je signale ici deux bons livres de Nina CATACH sur la question : "L'orthographe française" et "Les délires de l'orthographe".

    Mais le problème se pose en fait de savoir quel est le degré de tolérance sociale pour une réforme de l'orthographe. En effet, ce qui est perçu à juste titre comme des incohérences sert en fait la lecture. Prenons ainsi le verbe "donner". Si on écrit "donation" avec un seul N, personne ne comprend alors pourquoi il faut deux N pour "donner" ! Mais avec deux N, "donner" se distingue mieux de "doter" que ne le ferait "doner" (un seul N).

    Bref, les incohérences de l'orthographe française défavorisent l'écriture, mais favorisent la lecture. Comme on lit beaucoup plus qu'on écrit, le français a raison de privilégier la lecture aux dépens de l'écriture. Il pousse seulement trop loin cette tendance !

    Cela explique en tout cas pourquoi la plupart des gens sont peu intéressés à une simplification de l'orthographe. Et la petite minorité maîtrisant à peu près l'orthographe n'est pas non plus intéressée, ayant l'impression de faire partie en quelque sorte de l'élite ! Seuls les enfants scolarisés seraient d'accord, mais on ne leur demande pas trop leur avis. Les professeurs des écoles (instituteurs) ne se plaindraient pas non plus d'une simplification de l'orthographe, mais ne feront sûrement pas grève pour cela !

     

    Supposons qu'une réforme de l'orthographe soit quand même décidée en haut lieu. Ce sera d'abord le fait du pouvoir politique, comme la petite lancée en 1990 par le premier ministre Rocard. On ne comptera pas trop sur l'Académie française pour cela. Elle n'a jamais modifié qu'un mot tous les dix ans ! Mais dans tous les cas, comment faudrait-il procéder pour une réforme globale ? Sans être spécialiste, voilà comment je vois à priori les choses pour l'orthographe lexicale (mots du dictionnaire) :

    1) Dans un premier temps, l'orthographe et la prononciation pourraient être accordées strictement, sur le principe : un son = une lettre (ou digramme) / une lettre (ou digramme) = un son. Par exemple, si la lettre O est plus fréquente pour noter le son O que le digramme AU, on choisira cette lettre. Par la suite, il faudra bien sûr que la lettre O ne soit pas utilisée pour noter un autre son.

    2) Mais il faudra ensuite réintroduire des lettres inutiles pour la prononciation, cela pour différencier les homophones : compte, comte, conte / tain, teint, thym... Cela dit, il ne faut peut-être pas le faire trop systématiquement, certains mots ayant quand même très peu de chances de figurer dans la même phrase.

    3) Certaines lettres pourraient être introduites à ce niveau pour suggérer les mots souches. Cela est utile pour saisir immédiatement le sens. Par exemple, les H de "déshabituer" et "rhabiller" rappellent respectivement "habiller" et "habituer". À maintenir absolument ! Moins utiles par contre le E de "château" pour "châtelain", le T de "rabot" pour "raboter"...
    --- L'orthographe française n'est de toute façon pas au point dans ce domaine. Il faudrait par exemple écrire "numérot" pour annoncer "numéroter", "chaot" pour "chaotique", "object" pour "objectif"...
    --- Pour résumer, il faudrait soit laisser les choses en l'état, soit supprimer tous ces morphogrammes (expression de Catach), soit les multiplier, soit encore essayer d'établir un système cohérent. À débattre !

    4) Si le maintien des morphogrammes à l'étape précédente peut se justifier dans une certaine mesure, les lettres purement étymologiques n'ont par contre aucune utilité pour décrypter le sens des mots. Par exemple, les H de "inhiber et "adhérer" doivent-ils absolument être maintenus, sous prétexte qu'ils rappellent ainsi mieux les mots latins "inhibere" et "haerere" ? Pourquoi ne pas alors écrire directement en latin ? Cela montrera clairement qu'on n'aime pas du tout le français !

    5) Enfin, il faudra tenir compte des usages courants. Personne n'imagine ainsi écrire "omme", même si cette orthographe permettrait d'indiquer clairement que la prononciation doit se faire en liaison : "les ommes". Avec "les hommes", on ne peut en effet savoir si le H est muet ou aspiré.
    --- Les modifications orthographiques seront en fait d'autant mieux acceptées qu'elles concerneront, par importance décroissante : des mots longs, rares, techniques et peu investis affectivement, des lettres au milieu des mots (pas à la fin ni surtout au début), des lettres peu visibles (pas à jambages ni surtout à hampes). On pourra prendre en exemple d'autres langues latines. Voyez, si nos amis espagnols écrivent "farmacia" et "como", pourquoi ne pas écrire "farmacie" et "come" ? Les Espagnols ne sont pas forcément plus bêtes que nous !

     

    L'orthographe grammaticale devrait être modifiée plus facilement que l'orthographe lexicale, car elle ne concerne pas la physionomie des mots, telle qu'on peut la voir dans un dictionnaire. Les modifications devraient de toute façon rester homéopathiques dans ce domaine. Pour moi, le pluriel en S doit être généralisé (plus aucun X). Les accords du participe passé peuvent aussi être simplifiés, sur le modèle de ce qui se fait en espagnol : invariabilité permanente avec l'auxiliaire Avoir, son accord systématique avec le sujet pour l'auxiliaire Être. Plusieurs linguistes l'ont déjà proposé (Wilmet, Gruaz...), et j'ai moi même fait un travail là-dessus disponible sur ce forum : "Pour une réforme du participe passé". Pour les verbes du premier groupe, il serait aussi plus logique d'utiliser S pour l'impératif : "Parles !" L'absence du S ne s'explique que par des raisons purement étymologiques, difficilement justifiables par conséquent.

     

    Deux réformes me paraissent particulièrement urgentes :

    A) D'abord, la suppression de la plupart des doubles consonnes, occasionnant des "fautes" innombrables. Comment peut-on justifier "donation" mais "donner", "honorer" mais "honneur", "alourdir" mais "alléger", "agréger" mais "agglomérer" ? Cela devient franchement ridicule ! Les doubles consonnes ne doivent être maintenues que si elles indiquent la prononciation : "voyelle", "session"... Ou encore si elles évitent des confusions : "homme" par rapport à "home" (anglicisme courant)... Et par souci d'égalité, on maintiendra aussi les deux M de "femme". Remarquons toutefois que cela provoque des ruptures de continuité par rapport à "humanité" et "féminité" (un seul M), mais il est difficile de l'éviter. Problème lié, on pourrait aussi remplacer systématiquement M par N avant les lettres B, M et P. Les mots concernés ne se prononcent quand même plus comme à l'époque de Jules César !

    B) Comme je l'ai déjà dit, le pluriel en S doit aussi être généralisé. Celui en X pose trop de problèmes : des listes de mots concernés à partir de certains critères, mais des exceptions suivant d'autres critères, des exceptions dans les exceptions... Le pluriel en X n'a même pas de justification étymologique. On écrivait par exemple d'abord "chevaus", puis "chevax" pour gagner une lettre, enfin "chevaux" pour rétablir la prononciation. En écrivant "chevaus", nous revenons à l'étymologie initiale, justifiée pour une fois !

    Ces deux réformes urgentes donneront un signal fort et devraient être bien acceptées. Le terrain un peu déblayé, une commission spécialisée pourrait alors se réunir tous les deux ans par exemple. Elle étudierait chaque fois les simplifications possibles pour un point très limité de l'orthographe. Pas la peine d'aller trop vite ! Mais je pense qu'une personne seule travaillant sur un dictionnaire étymologique (mots souches et dérivés) pourrait y arriver en quelques mois. Je suis déjà volontaire !

    Au bout du compte, l'orthographe française devrait quand même rester beaucoup moins facile que celles de l'espagnol ou de l'italien. Mais si on parvient à réduire d'une bonne moitié ses difficultés injustifiées, cela ne sera déjà pas si mal !

    Voilà comment je vois grosso modo la question. Mais si vous avez d'autres idées...


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